La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 octobre 2021, une décision relative aux obligations de conservation des enregistrements incombant aux entreprises d’investissement. Cette affaire porte sur l’interprétation du règlement délégué 2017/565 concernant l’évaluation du caractère approprié des services financiers.
Une entreprise d’investissement a fait l’objet d’un contrôle administratif diligent par une autorité nationale chargée de la surveillance des marchés financiers. Les agents ont constaté l’absence de registres consignant les évaluations du caractère approprié des produits et les informations sur les coûts fournis aux clients. En conséquence, deux sanctions pécuniaires ont été infligées à cette société pour violation des obligations d’enregistrement prévues par le droit de l’Union.
La société a contesté ces sanctions devant un tribunal d’arrondissement qui a initialement rejeté son recours formé contre la décision administrative. Saisie en cassation, la juridiction de renvoi a relevé des divergences sémantiques entre les versions linguistiques du règlement européen applicable au litige. La requérante soutenait qu’une simple conservation des données suffisait sans nécessiter la création d’un registre formel indépendant. L’autorité de surveillance affirmait au contraire que le droit de l’Union imposait la tenue de bases de données systématiques.
Le litige soulève la question de savoir si les entreprises d’investissement doivent tenir des registres indépendants uniques pour conserver les évaluations de l’adéquation.
La Cour juge que les textes « ne sauraient être interprétés de façon à imposer aux entreprises d’investissement une forme spécifique de conservation ». Le mode de stockage reste libre sous réserve de satisfaire aux exigences d’accessibilité prévues par la réglementation européenne. L’étude du principe de neutralité technologique précédera l’analyse de la portée de la liberté organisationnelle reconnue aux entreprises d’investissement.
I. La consécration du principe de neutralité technologique des enregistrements
A. L’écartement d’une interprétation littérale restrictive
Certaines versions linguistiques utilisent le terme de registre tandis que d’autres emploient celui d’enregistrement pour définir les obligations des prestataires. Cette divergence sémantique empêche de déduire une obligation univoque de créer une base de données informatique unique au sens strictement formel. « La formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition ne saurait servir de base unique à l’interprétation ». Le juge européen privilégie donc une analyse fondée sur l’économie générale et la finalité de la réglementation financière concernée.
B. La prévalence des objectifs de surveillance sur le formalisme technique
L’objectif principal du règlement consiste à permettre aux autorités compétentes d’exercer leurs missions de surveillance de manière particulièrement efficace. Le texte définit précisément les informations minimales à conserver pour garantir la protection de l’investisseur et l’intégrité du marché financier. Imposer un support technique rigide priverait de sens les conditions générales d’accessibilité énumérées limitativement par le législateur de l’Union. La Cour précise que le règlement « repose sur une certaine neutralité technologique » laissant aux entreprises le choix de leurs outils.
II. La portée de la liberté organisationnelle sous condition d’efficacité
A. Le choix discrétionnaire des modalités de conservation par l’entreprise
Les entreprises d’investissement disposent d’une réelle liberté de gestion pour organiser le stockage des données relatives aux évaluations du caractère approprié. Elles ne sont pas tenues de centraliser ces informations dans des registres indépendants si les dossiers clients contiennent déjà les éléments. Cette souplesse permet d’adapter les processus internes au volume et à la nature des activités exercées par chaque prestataire financier. « Le mode de conservation de ces enregistrements peut être librement choisi » par l’entité assujettie au contrôle de l’autorité nationale.
B. La garantie impérative d’accessibilité pour les autorités de contrôle
Cette liberté organisationnelle n’est toutefois pas absolue car le mode choisi doit impérativement répondre aux exigences de sécurité et de conservation. L’autorité de contrôle doit pouvoir accéder facilement aux données et reconstituer chaque étape essentielle du traitement de chaque transaction financière. La protection de l’investisseur demeure la finalité ultime qui justifie le maintien d’une traçabilité parfaite des conseils et des frais facturés. La solution retenue assure un équilibre entre la flexibilité opérationnelle des entreprises et la rigueur nécessaire du contrôle de l’administration.