Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2021, n°C-47/20

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 29 avril 2021, précise les limites du principe de reconnaissance mutuelle des titres de conduite. Un conducteur titulaire d’un permis délivré par l’Espagne s’est vu retirer le droit de circuler en Allemagne après une conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Les autorités espagnoles ont restitué le document puis procédé à son renouvellement périodique malgré l’interdiction de solliciter un nouveau titre en vigueur sur le sol allemand. La ville de Karlsruhe a ultérieurement rejeté une demande de reconnaissance de ce permis au motif que l’aptitude physique du demandeur n’avait pas été vérifiée. Un recours fut introduit devant les juridictions administratives lesquelles rejetèrent les prétentions du requérant tant en première instance qu’en appel devant le tribunal administratif supérieur de Bade-Wurtemberg. La Cour administrative fédérale a finalement été saisie pour trancher le litige portant sur la conformité de la législation nationale avec les principes du droit européen. La question posée vise à déterminer si la reconnaissance mutuelle s’impose lorsqu’un État membre refuse de valider un permis renouvelé sans contrôle préalable de l’aptitude. La Cour répond que les dispositions européennes ne s’opposent pas à un tel refus de reconnaissance sous réserve du respect rigoureux du principe de proportionnalité juridique.

I. L’absence d’automaticité de la reconnaissance mutuelle pour les permis renouvelés

A. La distinction fondamentale entre la délivrance initiale et le simple renouvellement administratif

Le renouvellement d’un permis des catégories A et B ne saurait être assimilé à la délivrance d’un nouveau titre de conduite au sens de la directive. Cette différence de régime juridique repose sur le fait que les conditions de renouvellement et de délivrance ne sont nullement identiques pour ces catégories spécifiques. L’article sept prévoit que la délivrance est subordonnée à la réussite d’épreuves et au respect de normes médicales minimales pour garantir la sûreté des usagers. En revanche, le renouvellement au moment de l’échéance administrative constitue une simple faculté laissée à la discrétion des États membres concernant le contrôle des aptitudes physiques. « Les États membres peuvent imposer, lors du renouvellement des permis de conduire des catégories am, a, a 1, a 2, B, b1 et be, un contrôle ». L’obligation de reconnaissance mutuelle des permis de conduire par les États membres découle de l’établissement de conditions minimales de délivrance harmonisées par le droit de l’Union. Cette reconnaissance ne s’applique pas d’office aux renouvellements dès lors que les exigences imposées au titulaire varient sensiblement selon les législations nationales des différents États membres.

B. La préservation du pouvoir de sanction de l’État membre du séjour temporaire

L’article onze paragraphe quatre permet à un État membre de refuser de reconnaître la validité d’un titre faisant l’objet d’une mesure de restriction sur son sol. Les autorités nationales conservent la compétence pour fixer les conditions nécessaires au recouvrement du droit de conduire après une infraction commise sur leur propre territoire géographique. Cette mesure de protection est justifiée par un comportement infractionnel survenu lors d’un séjour temporaire et mettant gravement en cause l’aptitude mentale de l’intéressé à conduire. La souveraineté de l’État d’accueil en matière de sécurité routière l’emporte sur la validité formelle d’un document administratif renouvelé sans vérification concrète des capacités du conducteur. L’État membre peut ainsi légitimement « refuser de reconnaître la validité de ce permis de conduire » si les conditions posées par sa propre loi interne ne sont pas satisfaites. Le principe de reconnaissance mutuelle ne saurait couvrir des situations où la sécurité des usagers de la route est manifestement compromise par un conducteur récidiviste. Cette exception au principe général garantit que les sanctions locales ne soient pas vidées de leur substance par une simple démarche administrative effectuée dans un autre État.

II. L’encadrement des exigences nationales par le respect du principe de proportionnalité

A. La faculté pour le titulaire de démontrer la réalité d’un contrôle médical effectif

Le titulaire d’un titre renouvelé doit pouvoir apporter la preuve que son aptitude à la conduite a effectivement fait l’objet d’un contrôle médical sérieux et complet. La reconnaissance devient obligatoire si l’inaptitude constatée initialement a été levée par un examen de santé correspondant aux exigences de la réglementation de l’État d’accueil. L’inaptitude est effacée lorsque le second État membre vérifie que le candidat satisfait aux normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale prévues par le droit communautaire. Le droit de circuler doit être rétabli si l’objet de ce contrôle de santé coïncide avec celui ordonné par les autorités du pays où l’infraction fut commise. Il appartient alors à l’intéressé de démontrer que l’autorité de délivrance a bien réalisé les vérifications de santé nécessaires pour dissiper les doutes sur ses capacités. Cette solution permet de concilier le respect de la vie privée du conducteur avec l’exigence impérieuse de protéger la vie et l’intégrité des citoyens. La reconnaissance mutuelle retrouve alors son plein effet dès lors que l’objectif de prévention des risques routiers a été formellement validé par un autre État.

B. La nécessaire adéquation des mesures restrictives aux impératifs supérieurs de la sécurité routière

Les règles nationales fixant les conditions pour recouvrer le droit de conduire ne doivent pas excéder ce qui est approprié pour atteindre l’objectif de sécurité routière. Le juge national doit vérifier si l’application de ses propres normes ne s’opposent pas indéfiniment à la reconnaissance d’un permis délivré par un autre État membre. L’exigence d’une expertise médicopsychologique ne doit pas constituer une barrière disproportionnée ou arbitraire au libre établissement des citoyens au sein de l’espace européen commun. Le principe de proportionnalité exige un équilibre entre la protection du public et la liberté de circulation garantie par les traités fondamentaux de l’Union européenne. Les mesures de restriction doivent rester limitées à ce qui est strictement nécessaire pour s’assurer que le titulaire du permis ne représente plus de danger. La juridiction de renvoi doit ainsi s’assurer que les procédures imposées au conducteur permettent réellement d’évaluer son aptitude sans créer des obstacles administratifs injustifiés. Cette vigilance juridictionnelle prévient les dérives protectrices excessives qui pourraient nuire à l’intégration juridique et sociale des ressortissants européens dans les différents États membres. L’amélioration de la sécurité routière demeure le critère ultime permettant de valider les restrictions apportées à la libre circulation des personnes et de leurs véhicules.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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