La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 29 mars 2012, précise les modalités de prescription applicables au recouvrement des intérêts. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la protection des intérêts financiers de l’Union face à des irrégularités commises par un opérateur économique.
Un opérateur a bénéficié de remboursements de frais de stockage pour du sucre entre 1994 et 1997 avant qu’une autorité nationale n’ordonne leur restitution. L’administration a constaté en 2003 que les quantités déclarées étaient excessives, entraînant ainsi une demande de remboursement du principal augmentée d’intérêts moratoires ultérieurs. L’opérateur a acquitté la dette principale en 2006, mais a contesté la prescription des intérêts réclamés en 2007 pour la période courant depuis 1999.
Le tribunal administratif de Cologne a d’abord accueilli partiellement ce recours en annulant le titre de perception relatif à une partie des intérêts litigieux. Saisie d’un pourvoi, la juridiction administrative fédérale allemande a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’interprétation du règlement 2988/95. Le litige porte spécifiquement sur l’application du délai de prescription de quatre ans aux intérêts de retard dont la source repose sur le droit national.
La question de droit soumise aux juges consiste à déterminer si le délai de prescription prévu par le droit de l’Union régit également les intérêts moratoires.
La Cour de justice juge que le délai de l’article 3 du règlement 2988/95 ne s’applique pas aux intérêts dus en vertu du seul droit national. Elle précise néanmoins que ces intérêts accessoires ne peuvent être recouvrés si la créance principale est prescrite selon les règles communes du droit de l’Union.
I. L’autonomie du régime de prescription des intérêts fondés sur le droit national
A. L’inapplicabilité du délai de prescription de l’Union aux créances d’intérêt nationales
Le règlement 2988/95 institue une « réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités ». Ce texte définit un délai de prescription minimal de quatre ans pour le recouvrement des sommes indûment perçues au détriment du budget de l’Union européenne. La Cour relève toutefois que le recouvrement des remboursements de frais de stockage n’est pas assorti d’une obligation d’intérêt dans la réglementation sectorielle agricole.
L’article 4 du règlement dispose que le retrait de l’avantage peut être augmenté d’intérêts « si cela est prévu » par une disposition spécifique du droit communautaire. En l’absence d’une telle règle sectorielle, le droit de l’Union « ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient dans leur droit national le recouvrement d’intérêts ». La prescription quadriennale ne régit donc que la créance principale, laissant aux législations nationales le soin de définir le régime applicable aux intérêts.
B. La compétence résiduelle des États membres dans la définition des modalités de recouvrement
Lorsqu’une créance d’intérêts est constituée en sus de la récupération de l’avantage financier, il appartient au droit national de fixer les modalités de sa perception. La Cour souligne qu’il incombe à l’État membre de « définir et de mettre en œuvre le régime de prescription applicable à la récupération d’une telle créance ». Cette solution consacre une séparation entre le régime de la dette principale, strictement encadré, et celui des intérêts accessoires nés de la loi interne.
Le juge européen considère que l’économie générale du règlement n’a pas vocation à régir ces intérêts lorsque leur recouvrement est imposé par une obligation nationale. Cette compétence étatique permet d’appliquer les délais de prescription de droit commun prévus par le code civil national aux arriérés d’intérêts de nature publique. L’autonomie procédurale des États membres demeure ainsi préservée tant que les principes de protection des intérêts financiers de l’Union ne sont pas directement compromis.
II. La dépendance substantielle de la créance d’intérêt à l’égard de la dette principale
A. Le caractère accessoire de l’intérêt face à la prescription de l’avantage indûment perçu
Bien que la prescription des intérêts soit régie par le droit national, elle subit une limite impérative découlant de la nature accessoire de la créance revendiquée. La Cour affirme que la créance d’intérêts « ne saurait être mise en recouvrement si […] la créance principale […] était elle-même prescrite » selon le droit européen. Cette règle empêche l’administration de contourner l’extinction de la dette principale par la réclamation de ses fruits civils après l’expiration du délai de quatre ans.
Le respect du délai de prescription prévu à l’article 3 du règlement 2988/95 pour le principal constitue une condition préalable indispensable à toute action en recouvrement. La sécurité juridique des opérateurs économiques est ainsi garantie par l’impossibilité de poursuivre une créance accessoire lorsque le droit au remboursement de l’avantage est éteint. Cette interdépendance assure une cohérence entre l’application des règles nationales et les exigences supérieures de la réglementation européenne relative aux irrégularités financières.
B. L’exigence de protection des intérêts financiers de l’Union par le principe d’équivalence
Les États membres sont tenus de prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts de l’Union que pour leurs propres intérêts nationaux. Le principe d’équivalence impose de percevoir des intérêts lors de la récupération d’avantages indûment perçus si le droit national prévoit une telle mesure pour ses aides. Cette obligation d’analogie renforce l’efficacité du recouvrement des sommes qui doivent être, in fine, reversées aux organismes payeurs pour le compte du budget communautaire.
L’interprétation de la Cour garantit que les États membres ne traitent pas moins favorablement les créances nées du droit de l’Union que celles issues de l’ordre interne. L’application des règles nationales de prescription aux intérêts moratoires ne doit pas faire obstacle à une protection effective et dissuasive contre les violations du droit. Cette solution équilibrée concilie le respect des compétences juridictionnelles nationales avec l’impératif de recouvrement intégral des fonds publics européens détournés par des opérateurs.