La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 octobre 2020, une décision majeure concernant les motifs absolus de nullité d’une marque. Ce litige porte sur l’enregistrement d’un signe figuratif représentant une rainure de pneumatique dont la fonctionnalité technique est vivement contestée par un concurrent. Une société a déposé une demande de nullité contre une marque figurative représentant ce dessin de rainure enregistré pour des articles de gomme. La chambre de recours a initialement accueilli cette demande en considérant que la forme du signe était imposée par des impératifs techniques de roulement. Le Tribunal de l’Union européenne, par une décision du 24 octobre 2018, a cependant annulé ce constat pour défaut de preuve du caractère essentiel. Les parties demanderesses ont alors introduit des pourvois afin de faire reconnaître que la perception du public ne doit pas primer sur l’analyse technique. La question posée à la Cour est de savoir si la combinaison d’éléments esthétiques et techniques suffit à exclure la protection par le droit des marques. La Cour rejette les pourvois et confirme que l’autorité compétente doit identifier les caractéristiques essentielles du signe sans se limiter à la perception globale. L’examen de cette méthode d’identification des caractéristiques du signe précède l’analyse des conséquences de la décision sur le régime de la fonctionnalité technique.
I. La rigueur de la méthode d’identification des caractéristiques essentielles du signe
A. La primauté de l’examen objectif sur la perception subjective du public
La Cour rappelle que l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe doit reposer sur une analyse globale et objective des éléments qui composent la forme. Cette démarche ne saurait dépendre exclusivement de la perception du consommateur moyen, car celle-ci peut être erronée concernant les fonctions techniques du produit concerné. Le juge précise que « la perception du public concerné ne constitue pas nécessairement l’élément déterminant » lors de l’appréciation du caractère fonctionnel d’un signe complexe. Il convient donc de privilégier des critères matériels ou des expertises techniques pour déterminer si un élément est véritablement indispensable au résultat recherché. Cette approche garantit une application cohérente de la législation européenne en évitant les interprétations fondées sur des critères trop volatils ou purement visuels.
B. L’exigence d’une fonctionnalité intégrale des éléments essentiels de la forme
Pour que le motif de nullité soit retenu, il est impératif que toutes les caractéristiques essentielles du signe poursuivent un but purement technique. L’arrêt souligne que la présence d’un élément ornemental ou fantaisiste majeur empêche l’application de l’exclusion prévue par le règlement sur la marque de l’Union. L’autorité doit examiner si la forme est « constituée exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique » pour prononcer la nullité. Si une seule caractéristique essentielle n’est pas dictée par la technique, la protection au titre du droit des marques doit être maintenue par le juge. Cette solution équilibrée permet de protéger les investissements créatifs tout en limitant les risques de blocage technologique injustifié au détriment des autres opérateurs économiques. Cette délimitation des droits exclusifs impose dès lors d’envisager l’encadrement plus global de la nullité pour nécessité technique.
II. L’encadrement strict de la nullité pour nécessité technique du résultat
A. La prévention efficace du monopole perpétuel sur les solutions techniques
L’objectif fondamental de la règle est d’empêcher que le droit des marques ne soit utilisé pour éterniser des droits exclusifs sur des inventions techniques. La Cour insiste sur la nécessité de préserver le domaine public en évitant que des formes fonctionnelles ne soient soustraites à la libre concurrence indéfiniment. En rejetant les pourvois, la juridiction confirme que le droit des marques ne doit pas pallier l’expiration d’un brevet ou d’un dessin et modèle. La décision évite ainsi qu’un opérateur ne s’approprie une solution utilitaire sous couvert d’une protection graphique dont la durée de validité est potentiellement illimitée. Cette vigilance assure la libre circulation des marchandises et favorise l’innovation en permettant aux concurrents d’utiliser des solutions techniques tombées dans le domaine public.
B. L’exigence de sécurité juridique dans la protection des signes complexes
La confirmation de la solution du Tribunal renforce la sécurité juridique des titulaires de marques comportant des éléments graphiques à la fois esthétiques et fonctionnels. Les entreprises peuvent désormais mieux anticiper la validité de leurs dépôts en s’assurant que la forme choisie comporte des aspects originaux non dictés par l’utilité. Cette jurisprudence précise que l’examen doit être « fondé sur des éléments objectifs » pour éviter toute décision arbitraire lors de l’analyse de la structure d’un signe. Le refus de la Cour de censurer l’appréciation des faits par les juges du fond stabilise la pratique décisionnelle des offices de propriété industrielle européens. La solution adoptée pérennise une interprétation stricte des causes de nullité, garantissant ainsi un niveau de protection élevé pour les formes véritablement distinctives et originales.