Cour de justice de l’Union européenne, le 30 avril 2025, n°C-246/24

Par un arrêt rendu le 30 avril 2025, la Cour de justice de l’Union européenne précise la portée des exceptions aux sanctions financières contre la Russie. Le litige porte sur l’interdiction d’exporter des billets de banque libellés en euros vers le territoire russe conformément au règlement du 31 juillet 2014.

Le 31 mai 2022, une personne physique a été contrôlée à l’aéroport de Francfort-sur-le-Main alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre Moscou via la Turquie. Les agents des douanes ont découvert la possession de quatorze mille huit cent cinquante-cinq euros destinés au financement de plusieurs traitements médicaux en Russie. Ces soins comprenaient notamment des interventions dentaires, un traitement hormonal de procréation médicalement assistée ainsi qu’un suivi de chirurgie plastique sur le territoire russe.

L’Amtsgericht Frankfurt am Main a déclaré l’intéressée coupable de tentative d’exportation illicite de billets de banque après la saisie de la majeure partie des sommes. Saisie d’un recours en révision, l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’interprétation du règlement. La juridiction de renvoi souhaite savoir si le financement de tels soins médicaux entre dans la dérogation prévue pour l’usage personnel des voyageurs.

Le problème juridique porte sur la définition des besoins pouvant justifier l’emport de devises européennes vers la Russie malgré le régime général d’interdiction. La Cour doit déterminer si les dépenses de santé programmées constituent une exportation nécessaire à l’usage personnel au sens de la législation de l’Union.

La Cour de justice répond que le financement de traitements médicaux ne relève pas de l’exception prévue à l’article 5 decies du règlement litigieux. Elle considère que ces prestations ne répondent pas aux besoins strictement occasionnés par le voyage ou le séjour de la personne en Russie. Cette décision s’articule autour d’une interprétation stricte de la dérogation afin de garantir l’efficacité des mesures restrictives imposées par le Conseil européen.

I. L’interprétation stricte de la notion d’usage personnel des voyageurs

A. L’ancrage des besoins dans la temporalité du voyage

La Cour rappelle que l’interdiction d’exporter des billets vise à exclure la mise à disposition d’argent liquide au bénéfice de toute personne en Russie. Elle souligne que les termes « usage personnel » doivent être compris selon leur sens habituel désignant une utilisation pour les besoins propres de l’intéressé. Ces besoins doivent être indispensables pour répondre aux nécessités quotidiennes durant le déplacement et la durée du séjour temporaire sur le territoire étranger.

Les juges affirment que l’argent autorisé doit être exclusivement « destiné à subvenir aux besoins propres de ces personnes pendant leur voyage et leur séjour en Russie ». Cette lecture limite considérablement la marge de manœuvre des voyageurs en liant la licéité de la détention de fonds à la survie immédiate. L’exception ne saurait ainsi couvrir des dépenses qui ne sont pas directement générées par les nécessités logistiques ou alimentaires de la personne physique.

B. L’exclusion des prestations médicales du champ dérogatoire

Le raisonnement conduit à distinguer les frais de subsistance des projets de consommation de services spécialisés comme les soins médicaux de confort ou programmés. La Cour précise que l’exportation de billets pour financer des traitements « ne relève pas de l’exception » car ils ne constituent pas des besoins occasionnés par le voyage. Une telle interprétation évite que des sommes importantes soient transférées sous couvert de motifs personnels alors qu’elles alimentent l’économie du pays tiers.

Les interventions dentaires ou la chirurgie plastique sont perçues comme des prestations extérieures aux nécessités impérieuses du déplacement transfrontalier de la personne physique. Le juge souligne que l’usage personnel s’oppose notamment « à une utilisation à des fins professionnelles, commerciales ou d’investissement » selon le langage courant. En excluant les soins médicaux, la jurisprudence ferme la porte à une extension incontrôlée de la dérogation qui viderait l’interdiction de sa substance.

II. La préservation de l’effet utile des sanctions économiques

A. La volonté d’entraver le système financier russe

L’objectif de la réglementation est d’accroître le coût des actions de la Russie en limitant son accès aux liquidités libellées dans les monnaies des États membres. La Cour insiste sur le fait que l’interdiction cherche à « éviter que le système économique russe bénéficie de l’accès à l’argent liquide ». Chaque billet introduit sur le territoire russe est perçu comme un renforcement potentiel des capacités financières du pays soumis aux mesures restrictives.

La valeur de l’arrêt réside dans la primauté accordée à l’objectif politique de sécurité internationale sur les intérêts privés des citoyens de l’Union européenne. En imposant une lecture rigoureuse, le juge s’assure que les flux financiers restent marginaux et strictement cantonnés aux dépenses de première nécessité des voyageurs. Cette sévérité est justifiée par la gravité de la situation géopolitique et la nécessité de maintenir une pression économique constante sur l’État visé.

B. Une portée protectrice de l’intégrité du régime de sanctions

La solution rendue prévient les risques de contournement des sanctions par l’invocation systématique de motifs personnels difficilement vérifiables par les autorités douanières nationales. La Cour relève qu’une interprétation large permettrait de transférer des sommes pour effectuer « des achats personnels de toute nature » dont la réalité serait incertaine. La portée de l’arrêt est donc préventive en fournissant un critère clair aux juridictions nationales pour sanctionner les tentatives d’exportation injustifiées.

Le droit de circuler vers la Russie reste garanti mais l’effectivité de ce droit ne s’accompagne d’aucune liberté de mouvement des capitaux excédentaires. La dérogation ne vise qu’à permettre le voyage sans offrir de passerelle pour le financement de prestations de services sur le marché russe. Les juges confirment ainsi que la solidarité européenne en matière de politique étrangère impose des sacrifices individuels quant aux modalités de consommation à l’étranger.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture