La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 4 juillet 2013, une décision fondamentale relative aux procédures de recours en matière de marchés publics. Le litige concerne l’attribution d’un marché de services de télécommunications par un pouvoir adjudicateur sur le fondement d’un accord-cadre préalablement conclu par une agence nationale. Un soumissionnaire évincé a introduit un recours devant le tribunal administratif régional du Piémont afin d’annuler la décision d’attribution au profit de la société concurrente. Le requérant soutenait que l’offre sélectionnée ne respectait pas les spécifications techniques prévues par le cahier des charges de la mise en concurrence initiale. L’adjudicataire a répliqué par une action incidente, prétendant que l’offre du requérant présentait les mêmes défauts de conformité technique que ceux invoqués dans l’action principale. La juridiction de renvoi a constaté l’irrégularité des deux offres mais s’est heurtée à une jurisprudence nationale imposant l’examen préalable de l’exception d’irrecevabilité. Le Conseil d’État italien considérait que l’éviction irrégulière d’un candidat privait ce dernier de tout intérêt à agir contre les autres actes de la procédure. Le juge italien a donc sursis à statuer pour demander si le droit de l’Union autorise une telle hiérarchie procédurale entre les moyens d’irrecevabilité. La question de droit porte sur l’interprétation de l’article premier de la directive 89/665 concernant l’accessibilité des procédures de recours pour les soumissionnaires lésés. La Cour a jugé que le droit au recours s’oppose à ce que l’action principale soit déclarée irrecevable sans examen de la conformité de l’offre sélectionnée.
I. L’exigence d’un examen juridictionnel complet des offres concurrentes
A. La primauté de l’accès au recours effectif en matière de marchés publics
La directive 89/665 impose aux États membres de garantir que les décisions des pouvoirs adjudicateurs puissent faire l’objet de recours efficaces et particulièrement rapides. L’accès à ces procédures doit être ouvert à toute personne ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et risquant d’être lésée par une violation. La Cour souligne que « l’ouverture des marchés publics à la concurrence nécessite un accroissement substantiel des garanties de transparence et de non-discrimination » au sein de l’Union. L’interprétation restrictive des conditions de recevabilité par les juridictions nationales risque de priver les opérateurs économiques de la protection juridictionnelle voulue par le législateur européen.
Le juge de l’Union rappelle que l’exclusion d’un soumissionnaire avant la phase de sélection constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel indépendant. La jurisprudence interdit de refuser l’accès aux procédures de recours à un candidat dont l’offre est écartée sans lui permettre de contester ce motif d’éviction. Cette solution préserve le droit fondamental de chaque participant à voir son dossier examiné loyalement par rapport aux critères fixés dans les documents de la consultation.
B. Le rejet de l’irrecevabilité automatique fondée sur l’action incidente
La juridiction nationale estimait que l’admission irrégulière d’un requérant à la procédure d’adjudication entraînait rétroactivement son absence totale de qualité pour agir en justice. Cette position jurisprudentielle donnait une priorité absolue à l’examen de l’action incidente introduite par l’adjudicataire pour neutraliser la contestation principale dirigée contre son propre lot. Le droit de l’Union rejette cette hiérarchie car elle permettrait de maintenir des attributions illégales en raison d’une simple barrière procédurale dressée contre les concurrents évincés.
La Cour précise que l’action incidente de l’adjudicataire « ne peut pas conduire à écarter le recours d’un soumissionnaire » lorsque les deux offres sont également irrégulières. Le juge doit se prononcer sur la conformité des deux propositions par rapport aux spécifications techniques avant de conclure sur la recevabilité de la requête principale. Cette exigence d’examen exhaustif des irrégularités soulève la question de la nature de l’intérêt protégé par le droit au recours effectif.
II. La consécration d’un intérêt légitime à la remise en concurrence
A. La reconnaissance de l’équivalence des situations d’irrégularité
Le litige au principal présentait une configuration particulière où seuls deux opérateurs économiques avaient soumis une offre pour les services de transmission de données téléphoniques. Les deux concurrents invoquaient des motifs de non-conformité technique identiques pour obtenir l’exclusion réciproque de leurs offres respectives lors de l’examen par le pouvoir adjudicateur. Dans une telle situation, la Cour considère que « chacun des concurrents peut faire valoir un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre des autres » intervenants.
L’égalité de traitement entre les soumissionnaires exige que les mêmes standards de rigueur s’appliquent tant à la requête principale qu’à l’action incidente portée devant le juge. L’examen simultané des irrégularités garantit qu’aucun opérateur ne bénéficie d’une position privilégiée résultant d’une méconnaissance partagée des règles impératives fixées dans le cahier des charges.
B. La préservation d’une chance de remporter le marché par la réouverture de la procédure
L’intérêt du requérant ne se limite pas à l’obtention immédiate du contrat ; il englobe également la possibilité d’une nouvelle mise en concurrence de la prestation. Si le juge constate que toutes les offres sont irrégulières, le pouvoir adjudicateur se trouve dans l’impossibilité de procéder à la sélection d’un attributaire légitime. L’annulation de la procédure globale procure au soumissionnaire évincé une « nouvelle chance » de remporter le marché public à travers l’organisation d’une consultation ultérieure rectifiée.
La décision de la Cour assure ainsi l’effet utile de la directive en empêchant la validation définitive d’une attribution reposant sur une offre techniquement non conforme. Cette approche renforce la transparence et la saine concurrence au sein du marché intérieur en obligeant les autorités à respecter strictement les conditions de leurs propres appels d’offres.