La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 5 juillet 2012 une décision majeure concernant l’articulation entre les libertés de circulation et les mesures nationales anti-abus. Le litige portait sur le refus de déduction de frais professionnels par une administration fiscale nationale. Une société résidente avait comptabilisé des charges versées à un partenaire établi dans un autre État membre jouissant d’un régime fiscal d’exception. L’administration invoquait une disposition spécifique pour rejeter cette déduction au motif que le caractère réel de l’opération n’était pas suffisamment démontré. La Cour de cassation de Belgique, par une décision du 18 juin 2010, a interrogé la juridiction européenne sur la compatibilité de ce dispositif avec la libre prestation de services. Le juge de l’Union devait déterminer si une exigence de preuve renforcée constitue une entrave injustifiée aux échanges au sein du marché intérieur. La Cour répond que l’article 49 CE s’oppose à une telle réglementation dès lors qu’elle manque de précision et de prévisibilité.
**I. La qualification d’une entrave discriminatoire à la libre prestation des services**
**A. L’identification d’une différence de traitement préjudiciable aux échanges transfrontaliers**
La Cour constate que la législation nationale instaure une dualité de régimes probatoires pour la déduction des frais professionnels. La règle générale exige simplement du contribuable la preuve de la réalité et du montant des frais engagés. En revanche, la règle spéciale impose de démontrer que les opérations sont « réelles et sincères » et qu’elles ne dépassent pas les « limites normales ». Cette présomption de non-déductibilité rend l’obtention de l’avantage fiscal plus difficile pour le destinataire de services fournis par un prestataire non-résident. Les juges soulignent que « la présomption de non-déductibilité des frais professionnels » constitue une mesure qui « interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice de cette liberté ». La charge probatoire plus lourde dissuade ainsi les entreprises d’avoir recours à des prestataires établis dans d’autres États membres.
**B. Le rejet de la distinction fondée sur la situation objective des contribuables**
L’administration soutenait que le contribuable versant des fonds à un résident se trouvait dans une situation différente de celui payant un non-résident. Cet argument fondé sur l’absence de contrôle direct sur les entités étrangères est fermement écarté par le juge européen. La Cour précise que « le destinataire de services résidant ne se trouve pas dans une situation différente selon que ce prestataire est établi ou non dans le même État membre ». La différence de traitement affecte exclusivement le destinataire des prestations qui est lui-même soumis au pouvoir de contrôle des autorités fiscales nationales. Le risque plus élevé de fraude dans certaines configurations transfrontalières « n’a pas d’incidence sur la similarité de la situation des destinataires de services ». L’existence d’une restriction à la libre prestation des services se trouve donc fermement établie par les magistrats.
**II. L’invalidation d’une mesure disproportionnée au regard de la sécurité juridique**
**A. La reconnaissance de justifications impérieuses liées à la fraude fiscale**
Le juge européen admet que la mesure litigieuse poursuit plusieurs objectifs légitimes compatibles avec le droit de l’Union. La lutte contre la fraude fiscale et la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition constituent des raisons impérieuses d’intérêt général. La réglementation cherche à « faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels » dépourvus de toute réalité économique réelle. La Cour reconnaît que le dispositif national est apte à prévenir l’érosion de la base imposable par le biais de prestations fictives. Le fait de permettre au contribuable de rapporter la preuve du caractère normal des dépenses contribue également à l’efficacité des contrôles fiscaux. Ces finalités justifient en principe une limitation de la liberté de prestation de services si les moyens employés demeurent strictement proportionnés.
**B. La sanction de l’imprécision normative de la mesure nationale**
La validité de la mesure achoppe sur le respect du principe de sécurité juridique indispensable à la protection des opérateurs économiques. La règle spéciale s’applique lorsqu’un prestataire est soumis à un « régime de taxation notablement plus avantageux » sans plus de précisions normatives. La Cour relève que « le champ d’application de ladite règle spéciale n’est pas déterminé avec une précision suffisante au préalable ». Cette imprécision laisse une marge d’appréciation excessive à l’administration fiscale et génère une incertitude préjudiciable pour les contribuables résidents. Le texte ne permet pas d’identifier clairement les situations déclenchant le régime probatoire dérogatoire sans critère objectif et vérifiable. Le juge conclut qu’une « règle ne satisfaisant pas aux exigences du principe de sécurité juridique ne saurait être considérée comme proportionnée ».