La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 2 décembre 2021, un arrêt de pourvoi relatif à la recevabilité du recours en annulation. Cette décision précise les conditions d’attaque d’un acte intermédiaire produisant des effets juridiques obligatoires et immédiats sur la situation patrimoniale d’un administré.
Des anciens parlementaires ont reçu des notes administratives les informant de la réduction de leurs pensions de retraite en application d’une réforme nationale italienne. Ces documents précisaient que le nouveau calcul s’appliquerait immédiatement tout en ouvrant un délai de trente jours pour présenter d’éventuelles observations écrites. Les intéressés ont introduit des recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne contre ces notes reçues au cours du mois d’avril 2019. Par une ordonnance du 3 juillet 2020, le Tribunal a rejeté ces demandes comme manifestement irrecevables en les qualifiant de simples actes préparatoires. Les requérants ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice afin d’obtenir l’annulation de cette décision d’irrecevabilité jugée juridiquement erronée. La question posée est de savoir si une note administrative réduisant immédiatement une prestation financière constitue un acte faisant grief susceptible de recours. L’examen de cette problématique conduit à analyser la reconnaissance des effets juridiques autonomes de l’acte avant d’envisager la portée de la protection juridictionnelle.
I. La reconnaissance des effets juridiques autonomes de l’acte intermédiaire
A. La remise en cause de la nature purement préparatoire de la mesure
Le Tribunal avait estimé que les notes litigieuses ne fixaient pas la position définitive de l’institution car elles pouvaient faire l’objet d’observations ultérieures. La Cour de justice censure ce raisonnement en soulignant que le caractère intermédiaire d’un acte ne suffit pas à exclure systématiquement tout recours contentieux. Elle rappelle que sont considérées comme des « actes attaquables » toutes dispositions adoptées par les institutions qui visent à produire des effets de droit obligatoires. Le juge européen doit s’attacher à la substance de la mesure pour déterminer si elle modifie de façon caractérisée la situation juridique du requérant. En l’espèce, la position administrative n’était pas une simple opinion provisoire mais une décision exécutoire dont les conséquences pécuniaires se manifestaient sans délai.
B. L’incidence immédiate sur la situation pécuniaire des administrés
Les notes incriminées entraînaient une réduction immédiate du montant des pensions perçues dès le mois d’avril 2019 sans attendre l’issue de la procédure finale. La Cour relève que « les notes litigieuses produisaient, en tant que telles, des effets juridiques autonomes sur la situation patrimoniale » des personnes concernées. Ces effets ne sont pas de simples conséquences procédurales mais touchent directement au droit à la perception d’une rémunération de vieillesse complète et régulière. La nature provisoire alléguée par l’institution ne saurait masquer la réalité de la ponction financière opérée sur les budgets individuels des anciens élus parlementaires. L’absence de délai imposé à l’administration pour rendre sa décision finale renforçait d’ailleurs le caractère durable de cette atteinte aux intérêts financiers protégés.
L’analyse de l’impact immédiat de l’acte justifie d’examiner l’exigence d’une protection juridictionnelle efficace pour prévenir la survenance d’un préjudice définitif pour les requérants.
II. La garantie d’une protection juridictionnelle effective contre un préjudice irréversible
A. L’insuffisance du recours contre la décision finale de régularisation
Un acte préparatoire n’est normalement pas attaquable car l’illégalité peut être invoquée lors du recours dirigé contre la décision clôturant la procédure administrative. La Cour juge toutefois que cette protection classique s’avère insuffisante lorsque les effets de l’acte intermédiaire ne peuvent pas être utilement corrigés a posteriori. Elle souligne que « la réduction durable du montant d’une pension est de nature à avoir des conséquences potentiellement irréversibles sur la situation de la personne ». Le recours différé ne permettrait pas de compenser les difficultés matérielles rencontrées pendant la période d’exécution de la décision de réduction de la prestation. Cette analyse fonctionnelle du recours privilégie l’efficacité de la défense des droits sur la rigidité du calendrier procédural habituellement imposé par le juge européen.
B. La consécration d’un critère de recevabilité fondé sur l’irréparabilité
La Cour annule l’ordonnance du Tribunal car la nature provisoire des notes ne permettait pas de conclure à l’absence d’un grief réel et actuel. Elle réaffirme le principe selon lequel tout acte produisant des effets obligatoires doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle de légalité devant le juge compétent. La décision renvoie l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond sur la légalité de ces notes de réduction de pension jugées recevables. Cette jurisprudence renforce la sécurité juridique des administrés face à des mesures de gestion dont l’impact financier immédiat excède le cadre d’une simple préparation. Le droit à un recours effectif impose d’ouvrir la voie contentieuse dès lors qu’un acte institutionnel modifie substantiellement et durablement la sphère juridique privée.