Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre 2022, n°C-293/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 6 octobre 2022 un arrêt concernant l’interprétation des articles 184 à 187 de la directive 2006/112. Cette décision précise l’obligation de régulariser les déductions de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’un assujetti est mis en liquidation de manière définitive.

Une entité de recherche a acquis des biens pour créer un prototype d’appareil médical grâce à des financements européens entre 2012 et 2013. Elle a déduit la taxe acquittée en amont sans toutefois réaliser la moindre livraison de biens ou prestation de services soumise à l’imposition effective. L’actionnaire unique a décidé la mise en liquidation de la structure en août 2015 à cause de pertes importantes et de l’absence de commandes futures. La Commission des litiges fiscaux a rejeté la réclamation de l’intéressée par une décision rendue le 20 juin 2019 en confirmant le redressement opéré. Le Tribunal administratif régional de Vilnius a ensuite rejeté le recours formé contre cet acte par un jugement en date du 10 octobre 2019. La Cour administrative suprême de Lituanie a finalement saisi la juridiction européenne d’un renvoi préjudiciel par une décision rendue le 28 avril 2021. La juridiction de renvoi demande si les articles 184 à 187 imposent une régularisation suite à une décision de liquidation prise par le propriétaire de l’entité.

Les dispositions de la directive 2006/112/CE doivent-elles s’interpréter comme imposant une régularisation des déductions initiales quand l’activité cesse avant toute opération taxable ? La Cour affirme que l’assujetti doit régulariser la taxe car le lien entre l’acquisition et l’utilisation prévue pour des opérations taxées est rompu définitivement. L’examen de la décision s’articule autour de l’exigence de régularisation liée à la rupture du lien taxable puis sur l’analyse de l’indifférence des motifs économiques.

I. L’exigence de régularisation fondée sur la rupture du lien avec l’activité taxée

A. La fin définitive de l’intention d’utilisation taxable

La Cour rappelle que l’utilisation envisagée des biens détermine l’étendue des régularisations ultérieures sans toutefois affecter la naissance du droit à déduction au moment de l’acquisition. La décision de liquidation et la radiation du registre des assujettis confirment objectivement que les biens ne seront jamais employés pour des opérations soumises à la taxe. Ce constat marque la disparition de l’intention d’utiliser les investissements pour une activité économique imposée, rendant ainsi la déduction initiale indue au regard de la loi. L’arrêt souligne que la « relation étroite et directe » devant exister entre la déduction en amont et les opérations en aval se trouve alors rompue.

B. L’objectif de corrélation entre déduction et opérations en aval

Le mécanisme de régularisation vise à maintenir la cohérence du système commun en ajustant les déductions dès que des « modifications » interviennent dans les éléments de détermination. L’article 184 de la directive définit cette obligation de manière large pour inclure toute hypothèse où la déduction initiale s’avère supérieure à celle réellement permise. L’assujetti ne peut plus réaliser d’opérations imposables, ce qui impose le remboursement de la taxe déduite pour éviter un avantage fiscal sans contrepartie en aval. Cette exigence de régularisation s’impose indépendamment de la nature des raisons ayant conduit à l’arrêt définitif de l’exploitation économique envisagée par l’assujetti.

II. L’indifférence des motifs économiques de la cessation d’activité

A. L’impertinence de l’origine des circonstances de la liquidation

Le maintien du droit à déduction suppose normalement que l’assujetti conserve l’intention d’exploiter les biens pour une activité taxée malgré des retards ou des obstacles imprévus. La mise en liquidation décidée par l’actionnaire unique entraîne une rupture définitive de ce projet d’exploitation économique malgré l’invocation de pertes financières ou d’absence de commandes. La Cour considère que ces éléments sont sans incidence sur l’obligation de régulariser puisque l’intention d’utilisation taxable a disparu de façon irréversible pour l’entité. Les juges distinguent clairement l’abandon de projet pour « circonstances indépendantes de la volonté » de la cessation définitive d’activité résultant d’une dissolution volontaire.

B. La préservation de la neutralité fiscale par le mécanisme de régularisation

L’administration fiscale n’a pas à apprécier le bien-fondé des motifs économiques ayant conduit l’assujetti à renoncer à son activité de manière libre et réfléchie. Le principe de neutralité fiscale garantit l’absence de charge pour l’entreprise seulement si les activités économiques envisagées sont effectivement soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Imposer la régularisation dans ces circonstances évite des différences injustifiées entre les entreprises et assure que la déduction initiale ne constitue pas une subvention publique déguisée. Cette solution protège l’intégrité du système fiscal européen en conditionnant le bénéfice définitif de la déduction à la participation réelle au circuit de taxation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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