La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 7 juin 2012, une décision fondamentale relative à l’encadrement juridique des marchés publics de défense. Cette affaire oppose une société d’ingénierie aux autorités militaires d’un État membre concernant l’acquisition d’un système de plateforme tournante destiné à des mesures électromagnétiques. Le pouvoir adjudicateur a attribué ce marché de plus d’un million d’euros selon une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché. Les forces armées soutenaient que ce matériel était destiné à simuler des situations de combat et à la recherche sur des armes à des fins militaires.
Le litige fut porté devant le tribunal des affaires économiques qui rejeta le recours en estimant que le matériel servait des objectifs essentiellement militaires. Saisie en appel, la Cour administrative suprême de Finlande a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice par voie préjudicielle. La juridiction nationale demande si la directive de 2004 s’applique à un marché dont le matériel a une finalité militaire malgré l’existence d’applications civiles similaires. La Cour de justice répond qu’un tel marché doit respecter les procédures de mise en concurrence sauf si le matériel présente des caractéristiques militaires intrinsèques spécifiques.
L’étude de cette décision permet d’analyser d’abord la délimitation rigoureuse de la dérogation sécuritaire avant d’examiner l’exigence de caractéristiques techniques objectivement militaires du produit.
I. La délimitation rigoureuse du champ d’application de la dérogation sécuritaire
A. La préservation conditionnée de la souveraineté nationale en matière de défense
L’article 296 du traité instituant la Communauté européenne permet aux États membres de prendre des mesures nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité. Cette disposition s’applique spécifiquement à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre figurant sur une liste de 1958. La Cour reconnaît que les produits inscrits sur cette liste « relèvent, en principe, de la possibilité de dérogation » prévue par le droit primaire de l’Union. Les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation pour définir leurs besoins de sécurité mais cette compétence ne leur confère pas un pouvoir discrétionnaire absolu.
B. L’interprétation restrictive des mesures dérogatoires aux règles de concurrence
Les exceptions aux libertés fondamentales et aux règles de concurrence doivent faire l’objet d’une interprétation stricte pour garantir l’effet utile du droit de l’Union. La Cour rappelle qu’un État membre « ne saurait toutefois être interprété de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger » par simple invocation. Les mesures prises ne doivent pas altérer la concurrence pour les produits n’ayant pas une destination spécifiquement militaire afin de préserver l’unité du marché. Le juge national doit donc vérifier si le recours à une procédure dérogatoire était réellement indispensable pour protéger les intérêts vitaux de la nation.
II. L’exigence de caractéristiques techniques intrinsèquement militaires
A. L’insuffisance du critère fondé sur la seule intention de l’acheteur
L’intention du pouvoir adjudicateur d’utiliser un matériel à des fins exclusivement militaires ne suffit pas à justifier l’exclusion des règles de publicité et de mise en concurrence. Un produit ayant une vocation civile certaine et une finalité militaire éventuelle ne peut valablement bénéficier de la dérogation prévue par le traité. La Cour souligne que l’usage prévu par l’autorité publique est un élément subjectif insuffisant pour caractériser la nature réelle de la fourniture en cause. Le droit de l’Union privilégie une approche matérielle plutôt que fonctionnelle pour éviter que les États n’éludent trop facilement leurs obligations de transparence.
B. La nécessaire spécificité du matériel par sa conception ou son adaptation
Le matériel doit présenter objectivement un caractère militaire découlant de ses propriétés physiques ou techniques pour être soustrait aux procédures classiques de passation des marchés. La Cour exige que l’équipement soit « spécialement conçu et développé, y compris en conséquence de modifications substantielles », pour des finalités strictement militaires. Cette spécificité s’apprécie par rapport aux produits similaires disponibles sur le marché civil dont les applications techniques fondamentales resteraient substantiellement identiques à l’objet acquis. Il appartient désormais aux juridictions nationales de vérifier si les modifications apportées au système de plateforme tournante lui confèrent cette identité militaire propre.