Cour de justice de l’Union européenne, le 7 novembre 2024, n°C-782/22

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 7 novembre 2024, une décision majeure relative à la libre circulation des capitaux. Le litige oppose une société d’assurance établie au Royaume-Uni à l’administration fiscale néerlandaise concernant le remboursement d’un impôt sur les dividendes. Cette entité étrangère a investi dans des sociétés néerlandaises afin de couvrir des engagements futurs résultant de contrats d’assurance en unités de compte. L’administration a prélevé une taxe de quinze pour cent sur les dividendes perçus, sans possibilité de déduction pour la société non-résidente concernée. Le Gerechtshof’s-Hertogenbosch, soit la cour d’appel de Bois-le-Duc, a saisi la juridiction européenne par une décision datée du 14 décembre 2022. La Cour doit déterminer si l’article soixante-trois du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à cette différence de traitement fiscal. Cette analyse nécessite d’examiner l’existence d’une restriction injustifiée avant d’évaluer la comparabilité objective des situations juridiques des contribuables résidents et non-résidents.

I. L’établissement d’une entrave à la liberté de circulation des capitaux

A. La constatation d’un traitement fiscal discriminatoire

La législation néerlandaise prévoit que les dividendes versés aux sociétés non-résidentes subissent une retenue à la source définitive de quinze pour cent du montant brut. Les sociétés résidentes sont également soumises à cet impôt, mais elles peuvent l’imputer intégralement sur l’impôt sur les sociétés dont elles sont redevables. Cette imputation permet aux entités établies aux Pays-Bas de bénéficier d’un remboursement si le montant de la taxe excède celui de l’impôt annuel. La juridiction de renvoi souligne que la charge fiscale réelle des résidents devient nulle grâce à la déduction des engagements envers les clients.

La Cour rappelle que constitue un traitement moins favorable « l’application aux dividendes versés à des sociétés non-résidentes d’une charge fiscale plus lourde ». Cette différence de régime est susceptible de dissuader les investisseurs étrangers de placer leurs capitaux dans des sociétés établies sur le territoire national. Par conséquent, une telle mesure constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée par les traités européens sous réserve d’une éventuelle justification. La question de la validité de cette entrave dépend alors des arguments invoqués par les gouvernements pour maintenir cette distinction fiscale.

B. L’insuffisance des justifications liées à la cohérence du système fiscal

Le gouvernement allemand soutient que la restriction se justifie par la nécessité de préserver la répartition des pouvoirs d’imposition entre les États membres. Il invoque également la cohérence du régime fiscal national en liant l’avantage accordé aux résidents à l’imposition globale de leurs bénéfices mondiaux. La Cour rejette ces arguments en précisant qu’un État ne peut justifier l’imposition des non-résidents s’il a choisi d’exonérer ses propres résidents. L’argument relatif à la prévention d’un double avantage fiscal n’est pas retenu car le risque n’a pas été établi de manière suffisante.

La nécessité de garantir la cohérence fiscale suppose l’existence d’un lien direct entre un avantage fiscal déterminé et une compensation par un prélèvement précis. En l’espèce, les juges européens considèrent que la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition ne peut légitimer un traitement discriminatoire fondé sur la résidence. La Cour conclut que les objectifs de lutte contre l’évasion fiscale ou de préservation du système ne peuvent couvrir une telle différence de traitement. Cette conclusion impose d’analyser si le caractère comparable des situations impose une égalité de traitement parfaite entre les différents opérateurs économiques.

II. La reconnaissance de la comparabilité objective des investisseurs

A. L’existence d’un lien direct entre les dividendes et les engagements contractuels

Le caractère comparable des situations doit s’apprécier au regard de l’objectif poursuivi par la législation nationale et des critères de distinction qu’elle établit. Les résidents et les non-résidents sont placés dans une situation analogue concernant les dépenses professionnelles directement liées à une activité génératrice de revenus. La Cour de justice souligne l’existence d’un lien économique entre les dividendes perçus et l’augmentation corrélative des engagements futurs envers les assurés. Les contrats en unités de compte impliquent que le rendement des investissements influence directement la valeur des obligations que l’assureur doit provisionner.

La jurisprudence précise que les obligations des fonds de pension relatives au provisionnement des retraites peuvent fonder la comparabilité entre les structures résidentes et étrangères. Il convient de vérifier si la législation reconnaît un lien direct entre les dividendes et la modification du niveau d’engagements pour les résidents. Si une société non-résidente poursuit la même activité, elle se trouve dans une situation objectivement comparable s’agissant des dividendes de source nationale. L’application d’un prélèvement sur le montant brut aux seuls non-résidents méconnaît donc le principe d’équivalence nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur.

B. L’obligation d’équivalence dans l’exercice de la compétence fiscale étatique

Dès qu’un État membre choisit d’exercer sa compétence fiscale sur les dividendes versés aux non-résidents, il doit assurer un traitement équivalent aux résidents. Cette obligation vise à prévenir les risques d’imposition en chaîne ou de double imposition économique qui entravent la fluidité des mouvements de capitaux. La Cour affirme que l’État de la société distributrice doit veiller à ce que les contribuables non-résidents bénéficient des mécanismes d’atténuation prévus. La déduction des charges liées aux engagements futurs constitue un élément essentiel du calcul de l’assiette fiscale pour les sociétés d’assurance résidentes.

L’article soixante-trois du Traité s’oppose à une législation excluant cette déduction pour les entités étrangères alors qu’elle réduit à néant l’imposition des entités locales. Les juges imposent ainsi une symétrie dans la prise en compte des passifs liés aux investissements ayant généré les revenus soumis à taxation. Cette solution garantit que la liberté de circulation ne soit pas vidée de sa substance par des modalités techniques de calcul de l’impôt. La décision finale appartient à la juridiction nationale qui devra tirer les conséquences de cette incompatibilité flagrante avec le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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