Cour de justice de l’Union européenne, le 7 septembre 2017, n°C-506/16

Par un arrêt rendu le 7 septembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’étendue de l’assurance obligatoire automobile. La juridiction examine si les directives européennes interdisent une règle nationale refusant l’indemnisation du conducteur responsable du décès de son conjoint passager.

Un conducteur perd le contrôle de son véhicule et cause un accident entraînant le décès de son épouse qui voyageait à ses côtés. Le responsable assigne sa compagnie d’assurances afin d’obtenir réparation du préjudice matériel et corporel résultant de la disparition de sa conjointe.

Le tribunal d’arrondissement rejette la demande au motif que la législation nationale exclut l’indemnisation du responsable fautif pour les dommages non matériels. La cour d’appel confirme cette décision en soulignant que le conducteur responsable ne saurait bénéficier d’une indemnité pour le décès de son passager.

Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême estime que le droit à indemnisation naît dans la sphère juridique du demandeur et non dans celle du défunt. Elle considère que l’auteur de l’accident ne peut invoquer une atteinte à ses propres droits pour solliciter une réparation auprès de son assureur.

La juridiction de renvoi demande si les directives s’opposent à une législation excluant l’indemnisation du conducteur fautif pour les dommages matériels subis suite au décès. La question porte sur la compatibilité entre l’autonomie des régimes de responsabilité civile et les exigences de protection des victimes d’accidents.

La Cour de justice répond que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle exclusion de l’indemnisation pour le conducteur fautif. Les directives imposent la couverture de la responsabilité envers les tiers mais ne régissent pas les conditions d’indemnisation fixées par les États membres.

L’étude du régime de responsabilité civile précède l’analyse de l’effet utile attaché aux dispositions européennes relatives à la protection des victimes de la route.

**I. L’autonomie des régimes nationaux de responsabilité civile**

La Cour rappelle que les directives visent à assurer la libre circulation des véhicules et à garantir un traitement comparable aux victimes des accidents. Elles imposent aux États membres de couvrir obligatoirement les dommages matériels et corporels causés aux tiers par l’utilisation d’un véhicule automoteur.

**A. La distinction entre obligation d’assurance et étendue de l’indemnisation**

La décision souligne que « l’obligation de couverture par l’assurance […] est distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces dommages au titre de la responsabilité civile ». Tandis que la première est garantie par l’Union, la seconde reste régie par le droit national de chaque État membre.

Cette dissociation permet aux juridictions nationales de définir les conditions d’engagement de la responsabilité sans remettre en cause l’existence même de la garantie assurantielle. Le législateur européen n’a pas entendu harmoniser les règles relatives à la détermination de la faute ou au calcul des indemnités dues.

La compétence des États demeure entière pour fixer les principes gouvernant le droit à réparation, pourvu que l’obligation de couverture des tiers soit respectée. L’arrêt confirme ainsi une jurisprudence constante séparant les règles de l’assurance obligatoire de celles fixant le montant et les bénéficiaires de l’indemnisation.

**B. Le maintien de la compétence étatique en matière de responsabilité**

Les directives n’ont pas pour objet d’harmoniser les régimes de responsabilité civile et les États « restent libres de déterminer le régime de responsabilité applicable ». Cette liberté permet d’appliquer des principes juridiques classiques tels que l’absence d’indemnisation du responsable pour le préjudice qu’il s’est lui-même causé.

Le droit national peut donc valablement limiter le droit à réparation en se fondant sur la qualité de responsable du sinistre de la personne demanderesse. La solution retenue s’appuie sur l’adage interdisant à quiconque de se prévaloir de sa propre faute pour obtenir un avantage ou une compensation.

L’indemnisation sollicitée ne concerne pas ici la victime directe mais un tiers par ricochet dont la conduite est à l’origine exclusive du dommage déploré. L’interprétation souveraine des règles de responsabilité par les juridictions nationales ne heurte pas les principes fondamentaux posés par les directives sur l’assurance automobile.

L’application souveraine des règles de responsabilité nationale doit néanmoins s’exercer dans le respect de l’effet utile attaché aux normes protectrices du droit de l’Union.

**II. La préservation de l’effet utile du droit de l’Union**

L’exercice de la compétence étatique ne doit pas priver les directives de leur substance en excluant arbitrairement certaines catégories de victimes du bénéfice de l’assurance. La Cour veille à ce que les limitations nationales ne portent pas une atteinte disproportionnée aux objectifs de protection sociale poursuivis par le législateur.

**A. L’absence d’entrave à la protection des tiers victimes**

L’arrêt précise que les dispositions nationales « ne peuvent priver les première, deuxième et troisième directives de leur effet utile » par des critères généraux et abstraits. Une réglementation serait illicite si elle refusait systématiquement l’indemnisation d’un passager sur le seul fondement de son lien de parenté avec le conducteur.

Dans le cas présent, le litige ne porte pas sur le droit à réparation de la passagère décédée mais sur celui du conducteur lui-même. La protection des passagers, érigée en priorité par les directives, n’est nullement remise en cause par le refus d’indemniser l’auteur responsable du sinistre.

L’exclusion litigieuse ne limite pas la couverture des dommages causés aux tiers mais concerne uniquement la situation spécifique de la personne ayant provoqué l’accident. L’effet utile des directives est donc préservé puisque la garantie de la responsabilité civile envers les véritables victimes n’est pas amoindrie.

**B. La validité de l’exclusion fondée sur la faute du conducteur**

La Cour constate que le droit à réparation est affecté par le régime national de responsabilité civile et non par une limitation de la couverture d’assurance. La législation exclut le conducteur « en tant que responsable d’un accident » du droit d’être indemnisé pour le préjudice personnel découlant de sa faute.

Cette distinction est fondamentale car elle valide la possibilité pour un État de priver d’indemnité l’auteur d’un dommage sans violer ses obligations européennes. Le conducteur responsable ne peut être assimilé à un tiers victime nécessitant la protection particulière instaurée par les directives de l’Union.

La solution de la Cour équilibre le respect de l’autonomie juridique des États et la nécessité de garantir une indemnisation efficace des victimes de la route. Elle confirme que la faute du conducteur reste un critère légitime pour moduler ou supprimer le droit à réparation dans les régimes nationaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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