La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 8 mai 2014, apporte des précisions essentielles sur les limites de sa compétence juridictionnelle.
Le litige opposait plusieurs sociétés commerciales actives dans le secteur de la jardinerie au sujet du respect d’une obligation légale de repos hebdomadaire en Belgique. La société requérante sollicitait une injonction de cessation des activités exercées sept jours sur sept par ses concurrentes, conformément à la loi nationale du 10 novembre 2006. Le Grondwettelijk Hof, saisi d’une question de constitutionnalité, a décidé d’interroger la Cour sur la compatibilité de cette réglementation avec les principes d’égalité et de non-discrimination.
La question de droit soulevée concernait l’application de la Charte des droits fondamentaux à une législation nationale encadrant les heures d’ouverture des commerces de détail. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les disparités de traitement entre commerçants selon leur localisation ou leurs produits constituaient une discrimination interdite par l’Union. La Cour de justice se déclare incompétente, estimant que la situation litigieuse ne présente aucun lien de rattachement avec la mise en œuvre du droit de l’Union européenne.
L’analyse de cette décision permet d’étudier la rigueur des conditions d’application de la Charte avant d’aborder la préservation de l’autonomie législative des États membres.
I. L’interprétation stricte de la mise en œuvre du droit de l’Union
A. La subordination de la Charte à un lien de rattachement européen
La Cour rappelle que les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, conformément à l’article 51. Elle précise que les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique européen « ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union ». Cette solution confirme une jurisprudence constante exigeant que la mesure nationale contestée trouve son fondement ou sa justification directe dans une norme européenne.
L’absence de démonstration par la juridiction de renvoi d’un lien concret entre la loi nationale et un acte de l’Union justifie ici le constat d’incompétence. La décision souligne que la situation juridique en cause au principal ne relève pas du champ d’application des traités, rendant ainsi la Charte totalement inapplicable.
B. L’impossibilité de fonder la compétence sur les seules dispositions fondamentales
Le juge européen affirme fermement que les droits fondamentaux ne sauraient, à eux seuls, fonder la compétence de la Cour en l’absence d’une autre règle. Il est précisé que les dispositions invoquées « ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence » lorsque la situation juridique ne relève pas du droit de l’Union. Cette position protège la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, évitant une extension injustifiée du contrôle exercé par la juridiction luxembourgeoise.
L’arrêt souligne également que la Charte n’étend en aucune manière les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies de manière limitative dans les traités originaires. La Cour se refuse ainsi à intervenir dans un débat purement interne dont la résolution incombe exclusivement aux juridictions constitutionnelles et ordinaires de l’État membre concerné.
II. La neutralité des libertés de circulation face aux réglementations commerciales
A. Le maintien de la jurisprudence relative aux modalités de vente
La Cour examine si les articles du traité relatifs à la libre circulation des marchandises ou des services pourraient justifier son intervention dans ce dossier. Elle rappelle que les dispositions sur les marchandises ne s’appliquent pas à une réglementation nationale en matière de fermeture des magasins opposable à tous. Une telle mesure affecte « de la même manière, en droit et en fait, la commercialisation des produits nationaux et celle des produits en provenance d’autres États membres ».
Cette approche confirme la célèbre distinction entre les caractéristiques des produits et les modalités de vente, ces dernières échappant au contrôle de l’Union européenne. Les restrictions imposées par la loi belge sont jugées trop indirectes pour constituer une entrave réelle à la liberté de prestation de services transfrontalière.
B. La confirmation de la souveraineté nationale en matière d’organisation du commerce
L’arrêt conclut que les effets restrictifs que la législation pourrait produire sur les échanges commerciaux restent purement aléatoires et manifestement insuffisants pour fonder une compétence. La Cour de justice de l’Union européenne termine son raisonnement en déclarant qu’elle est « incompétente pour répondre à la question posée » par le Grondwettelijk Hof. Cette décision renforce la sécurité juridique en délimitant clairement les frontières entre le contrôle de proportionnalité européen et les choix politiques nationaux.
La portée de cette jurisprudence réside dans sa fonction de rappel aux juridictions nationales concernant la nécessité de motiver précisément le lien avec l’ordre européen. En l’espèce, la nature purement interne du litige et l’absence d’harmonisation européenne sur les horaires commerciaux condamnent toute velléité de contrôle par le juge supranational.