L’arrêt du 8 mai 2019 de la Cour de justice précise les conditions d’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision porte sur le traitement fiscal des dépenses engagées pour la réalisation conjointe d’activités économiques et d’opérations exclues du champ d’application de l’impôt. Une entité de droit public exerçait des missions de gestion des déchets financées par une redevance et fournissait parallèlement des services commerciaux aux particuliers. L’administration exigeait une ventilation de la taxe payée en amont, mais l’intéressée revendiquait une déduction intégrale devant le tribunal administratif de voïvodie de Wrocław.
Le litige portait sur l’absence de critères de répartition dans la législation nationale polonaise applicable aux exercices fiscaux allant de l’année 2013 à l’année 2015. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité d’une pratique nationale autorisant la déduction totale au nom du principe constitutionnel de légalité de l’impôt. Elle a donc soumis à la Cour la question de savoir si l’article 168 de la directive s’oppose à une telle interprétation favorable à l’assujetti. Les juges européens affirment que le droit à déduction ne peut excéder la part des dépenses réellement affectées aux seules opérations soumises à la taxe. Cette solution souligne l’importance de la répartition des dépenses mixtes avant de confronter cette obligation aux contraintes de la légalité fiscale nationale.
I. L’exigence impérative d’une ventilation des taxes grevant les dépenses mixtes
A. Le fondement textuel du droit à déduction limité aux opérations taxées
La Cour rappelle d’emblée que « l’existence d’un droit à déduction suppose que l’assujetti agissant en tant que tel acquière un bien et l’utilise pour ses besoins ». Cette prérogative est strictement encadrée par l’article 168 de la directive qui conditionne la récupération de la taxe à l’utilisation des biens pour des opérations taxées. Le système commun repose sur une logique de neutralité où la déduction de la taxe payée en amont est nécessairement liée à sa perception en aval. Dès lors, l’utilisation de services pour des besoins ne relevant pas du champ d’application de la taxe ne saurait ouvrir droit à une récupération intégrale.
B. L’inopposabilité du silence de la réglementation nationale sur les méthodes de répartition
L’absence de règles spécifiques dans la loi nationale ne dispense pas l’assujetti de l’obligation de déterminer la part de taxe afférente à ses activités économiques. La Cour souligne que « la simple absence de telles règles ne signifie pas pour autant qu’un assujetti est en droit de déduire intégralement la taxe ». Accorder un tel bénéfice reviendrait à élargir indûment la portée du droit à déduction au mépris des principes fondamentaux régissant le système de la taxe. Les États membres conservent une marge d’appréciation pour choisir les méthodes de ventilation sans pouvoir renoncer à l’exigence même de cette répartition nécessaire.
II. La prééminence des principes européens sur les obstacles juridiques internes
A. La mise en œuvre du principe de neutralité fiscale face au principe de légalité
Le principe de neutralité fiscale, traduction du principe général d’égalité de traitement, s’oppose à ce qu’une entité bénéficie d’un avantage indu par rapport à ses concurrents. Les juges précisent que le principe de légalité de l’impôt n’exige pas que tous les aspects techniques de l’imposition soient réglementés de manière exhaustive par la loi. Dès lors que l’assujetti peut prévoir le montant de sa dette fiscale, l’obligation de ventilation ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique. L’absence de règles techniques accessoires ne saurait faire obstacle à l’application d’un élément essentiel du régime harmonisé tel que le droit à déduction.
B. L’obligation d’interprétation conforme incombant aux juridictions nationales
La Cour de justice souligne que les juridictions nationales sont tenues d’interpréter leur droit interne d’une manière qui soit parfaitement compatible avec les objectifs européens. Il appartient au juge de modifier une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une lecture de la loi nationale incompatible avec les dispositions de la directive. « L’article 168, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale autorisant la déduction intégrale de la taxe ». Cette solution garantit une application uniforme du droit de l’Union et préserve l’intégrité du système commun contre les défaillances locales de transposition ou d’interprétation.