Cour de justice de l’Union européenne, le 8 octobre 2020, n°C-568/19

Par une décision rendue le 8 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application de la directive deux mille huit cent quinze. Un ressortissant d’un pays tiers séjourne irrégulièrement sur le territoire espagnol depuis l’expiration de son titre de séjour obtenu au titre du regroupement familial. L’autorité administrative ordonne son éloignement du territoire national alors que l’intéressé invoque son intégration sociale et l’absence de tout antécédent pénal. Le tribunal administratif de Tolède rejette le recours formé contre cette décision administrative de retour assortie d’une interdiction de réadmission de cinq ans. La Cour supérieure de justice de Castille-La Manche, saisie en appel, constate que la loi nationale privilégie l’amende en l’absence de facteurs aggravants. Le juge européen doit déterminer si l’administration peut écarter une loi nationale favorable pour appliquer directement les obligations de retour prévues par la directive. La juridiction répond négativement en soulignant que les autorités nationales ne peuvent pas invoquer une directive non transposée contre un seul particulier. Cette solution impose d’étudier le refus de l’effet direct descendant de la directive avant d’analyser la primauté du principe de légalité.

I. Le refus de l’effet direct descendant de la directive retour

A. L’interdiction de créer des obligations à la charge des particuliers

La Cour rappelle qu’une directive européenne ne saurait imposer par elle-même des obligations à un individu sans une transposition correcte en droit interne. Le juge énonce qu’une « disposition d’une directive ne pouvant pas être invoquée en tant que telle par un État membre à l’encontre d’une personne ». Cette jurisprudence constante interdit à l’administration d’aggraver la situation d’un administré en se fondant exclusivement sur une norme européenne non encore intégrée. L’État ne peut tirer avantage de sa propre défaillance pour ne pas avoir adapté sa législation aux objectifs fixés par le législateur de l’Union. La protection du particulier contre l’application directe de contraintes supra-nationales constitue ainsi un rempart essentiel au sein de l’ordre juridique européen.

B. La persistance de la norme nationale plus favorable à l’intéressé

La législation espagnole prévoit que le simple séjour irrégulier peut être sanctionné par une amende plutôt que par une mesure d’éloignement physique. Bien que cette option soit contraire aux objectifs de la directive retour, elle demeure la seule base légale applicable pour sanctionner le ressortissant. La Cour de justice souligne que « cet État membre ne peut se fonder sur cette directive pour adopter » une décision de retour non prévue. Le juge national doit donc appliquer la sanction la moins sévère si les conditions spécifiques posées par le droit interne ne sont pas réunies. L’absence de facteurs aggravants dans le comportement de l’individu empêche alors légalement le prononcé d’une mesure d’expulsion par les autorités.

II. La primauté du principe de légalité sur l’efficacité du droit de l’Union

A. Les limites intrinsèques de l’obligation d’interprétation conforme

Les juridictions nationales doivent interpréter le droit interne à la lumière des objectifs de l’Union mais cette obligation rencontre des limites juridiques infranchissables. L’interprétation conforme ne peut servir de fondement à une lecture de la loi nationale qui aboutirait à une application de nature contra legem. Le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que le juge national modifie par voie d’interprétation le régime des sanctions applicables aux étrangers. La Cour affirme que l’autorité compétente ne peut se fonder directement sur la directive « même en l’absence de telles circonstances aggravantes » prévues. Cette décision protège l’individu contre une imprévisibilité de la sanction administrative qui résulterait d’une application directe des normes de l’Union européenne.

B. L’obligation de réforme législative pesant exclusivement sur l’État membre

La résolution du conflit entre la norme européenne et la loi nationale appartient au pouvoir législatif et non aux organes chargés de l’application. La Cour de justice indique clairement que l’incompatibilité de la loi espagnole doit être résolue par une modification profonde du cadre législatif national. L’État défaillant s’expose à des recours en manquement mais il ne peut pas faire peser les conséquences de son inertie sur les administrés. Le respect du principe de légalité des délits et des peines impose une rédaction claire des textes nationaux avant toute mise en œuvre coercitive. Le juge européen préserve ainsi l’équilibre entre l’efficacité du droit communautaire et la sauvegarde des droits fondamentaux garantis à chaque personne humaine.

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Hassan KOHEN
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