Cour de justice de l’Union européenne, le 9 novembre 2023, n°C-257/22

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 9 novembre 2023, précise l’articulation entre les procédures d’asile et les mesures d’éloignement. Un ressortissant étranger a présenté une demande de protection internationale le 30 septembre 2021 après être entré sans titre de séjour sur le territoire national. L’autorité administrative a néanmoins édicté une décision de retour à son encontre le 12 octobre 2021, alors que l’examen de sa demande était toujours en cours. Saisie d’un recours contre cet acte, la juridiction régionale de Brno a interrogé la Cour sur la possibilité d’appliquer la directive relative au retour dans ce contexte. Les juges devaient déterminer si l’existence d’une demande d’asile pendante interdit juridiquement l’adoption d’une décision imposant une obligation de quitter le territoire européen. La Cour répond par l’affirmative, estimant que le droit au maintien sur le territoire neutralise provisoirement la qualification de séjour irrégulier indispensable à l’éloignement.

L’analyse de cette solution impose d’étudier l’incompatibilité du régime du retour avec le statut de demandeur d’asile (I), avant d’envisager la portée absolue de cette protection temporelle (II).

I. L’exclusion du régime du retour durant l’examen de la demande d’asile

A. Le droit au maintien sur le territoire comme obstacle au séjour irrégulier

La Cour fonde son raisonnement sur l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32 qui autorise les demandeurs à demeurer dans l’État membre. Bien que cette prérogative ne constitue pas un droit à un titre de séjour, elle produit des effets juridiques déterminants sur la qualification du séjour. Selon les juges, ce droit « fait obstacle à ce que le séjour d’un demandeur de protection internationale soit qualifié d’irrégulier au sens de cette directive ». Cette interprétation s’appuie sur le considérant 9 de la directive 2008/115, lequel précise que l’intéressé ne doit pas être considéré en séjour irrégulier. L’irrégularité du séjour étant une condition préalable indispensable à l’application des normes de retour, son absence temporaire paralyse logiquement toute mesure administrative d’éloignement.

B. L’impossibilité temporelle d’édicter une mesure d’éloignement

Le champ d’application de la directive 2008/115 est strictement limité aux ressortissants de pays tiers dont la présence sur le territoire est jugée illicite. Puisque le demandeur bénéficie d’une autorisation légale de rester aux fins de la procédure, il ne peut faire l’objet d’une décision de retour concomitante. La Cour affirme sans ambiguïté qu’une « décision de retour le concernant ne peut pas être adoptée au cours de cette période » courant jusqu’au premier ressort. Cette interdiction vise à protéger l’intégrité du processus d’asile en évitant toute pression administrative prématurée sur la personne sollicitant la protection européenne. L’administration doit attendre l’issue de l’examen de la demande avant de constater, le cas échéant, le caractère irrégulier du séjour de l’étranger.

La protection ainsi conférée par le droit de l’Union présente un caractère impératif qui s’impose aux autorités nationales quelles que soient les circonstances du séjour initial.

II. La primauté de la protection internationale sur les impératifs migratoires

A. L’indifférence du caractère irrégulier du séjour antérieur à la demande

Une précision majeure apportée par la Cour concerne les situations où l’irrégularité du séjour préexistait au dépôt effectif de la demande de protection internationale. L’autorité nationale ne saurait justifier l’adoption d’une décision de retour en se fondant sur la période de présence illégale ayant précédé la démarche d’asile. Les juges soulignent qu’il est « sans incidence que la décision de retour soit relative à la période pendant laquelle ce demandeur se trouvait en séjour irrégulier ». L’introduction de la demande d’asile opère ainsi une forme de suspension automatique des prérogatives répressives de l’État en matière de police des étrangers. Cette solution garantit que chaque ressortissant de pays tiers puisse accéder à une évaluation complète de ses besoins de protection sans crainte d’un renvoi immédiat.

B. La garantie de l’effet utile de la procédure d’asile

La décision commentée renforce l’effet utile du régime d’asile européen en empêchant toute confusion procédurale entre le contrôle migratoire et la protection internationale. La Cour précise que l’adoption d’une mesure d’éloignement demeure possible uniquement dès le rejet de la demande ou cumulativement avec l’acte de refus. Cette interdiction est absolue et s’applique « quelle que soit la période de séjour visée dans ladite décision de retour », sanctuarisant ainsi la phase d’examen. Le droit de l’Union s’oppose donc à l’utilisation anticipée des mécanismes de la directive retour tant que le besoin de protection n’a pas été tranché. Cette jurisprudence assure une sécurité juridique indispensable aux demandeurs d’asile tout en encadrant strictement les pouvoirs d’exécution forcée des administrations nationales.

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Hassan KOHEN
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