Le Conseil d’État, par une ordonnance de référé rendue le 16 janvier 2025, se prononce sur la suspension d’une sanction disciplinaire frappant un membre du corps judiciaire. Un procureur de la République adjoint, exerçant ses fonctions au sein du tribunal judiciaire de Grasse, a fait l’objet d’un déplacement d’office le 4 décembre 2024. L’autorité administrative reprochait à l’intéressé des manquements répétés aux devoirs d’impartialité et de probité, liés à des interventions dans des procédures pénales concernant des proches. Le magistrat a saisi la juridiction administrative afin d’obtenir la suspension de cette mesure en invoquant l’atteinte grave à sa situation personnelle et familiale.
Le juge des référés du Conseil d’État statue sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, lequel exige l’urgence et le doute sérieux. La question de droit porte sur la caractérisation de l’urgence lorsqu’une mutation d’office impose un éloignement géographique durable et des charges financières nouvelles pour l’agent. Le juge doit déterminer si ces désagréments personnels justifient de neutraliser provisoirement une sanction visant à garantir le bon fonctionnement de l’institution judiciaire. La haute juridiction rejette la requête en estimant que les conséquences alléguées ne présentent pas un caractère de gravité suffisant au regard de l’intérêt général.
I. La rigueur de l’appréciation de l’urgence en matière de mutation disciplinaire
A. La primauté de l’analyse objective de la situation
L’article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que la suspension peut être ordonnée « lorsque l’urgence le justifie ». Le juge rappelle que cette condition s’apprécie objectivement et concrètement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de chaque affaire soumise à son examen.
Dans cette espèce, le requérant soulignait que le déplacement d’office impliquait une affectation éloignée de son domicile actuel où réside encore sa famille. L’analyse des faits conduit toutefois la juridiction à privilégier la continuité du service public sur les contraintes individuelles nées de la sanction disciplinaire. Cette approche classique impose au juge une balance entre les intérêts du requérant et l’intérêt général attaché à l’exécution immédiate des décisions administratives.
B. L’insuffisance des préjudices matériels et familiaux invoqués
Le juge écarte les arguments relatifs à l’éloignement du foyer et à la charge financière représentée par les frais de logement et de transport. L’ordonnance précise que « ni les désagréments familiaux qu’il invoque […] ni les frais de logement et de transport » ne caractérisent une situation d’urgence.
La juridiction administrative considère que les conséquences inhérentes à une mutation ne suffisent pas, par elles-mêmes, à justifier une suspension de l’exécution. Le magistrat invoquait également une baisse de sa capacité financière pour les études de ses enfants, mais ce motif économique reste insuffisant devant le juge. Cette sévérité dans l’appréciation des préjudices privés s’explique par la nécessité de maintenir l’efficacité des mesures d’ordre intérieur et des sanctions statutaires.
II. La protection de l’intérêt du service et de l’autorité judiciaire
A. La prise en compte de la fragilisation de la crédibilité professionnelle
Le juge des référés intègre dans son raisonnement la préservation de la crédibilité de l’institution judiciaire au sein du ressort géographique initial du magistrat. L’avis rendu par l’instance disciplinaire compétente avait souligné que l’autorité du requérant et la confiance de son entourage professionnel « avaient été fragilisés ».
Cette considération renforce la position de l’administration, car le maintien en poste d’un agent dont l’impartialité est contestée nuirait gravement au service. L’urgence est donc ici contrebalancée par la nécessité impérieuse de rétablir une sérénité fonctionnelle au sein du tribunal judiciaire de Grasse. La protection de l’apparence d’impartialité de la justice prévaut ainsi sur le droit du fonctionnaire au maintien de sa situation géographique habituelle.
B. La portée limitée de la protection en référé contre les sanctions statutaires
La solution retenue par le Conseil d’État confirme une jurisprudence établie limitant le succès des référés-suspension contre les mesures de déplacement d’office. En rejetant la requête « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence de moyens propres à créer un doute sérieux », le juge simplifie le débat.
Cette célérité procédurale, autorisée par l’article L. 522-3 du code de justice administrative, souligne que l’urgence demeure le verrou principal du contrôle provisoire. Le requérant devra désormais attendre l’issue du recours au fond pour espérer obtenir l’annulation de la sanction prononcée par l’autorité ministérielle. Cette ordonnance illustre la difficulté pour un magistrat de suspendre une mesure disciplinaire dont les motifs touchent à la probité même de ses fonctions.