Par une ordonnance rendue le 26 février 2025, le juge des référés du Conseil d’État se prononce sur la dignité des conditions de détention d’un détenu handicapé. Le litige s’inscrit dans le cadre du référé-liberté et interroge la responsabilité de l’administration pénitentiaire face à une situation de dépendance physique totale. Le requérant, âgé de soixante-sept ans et paraplégique, est incarcéré depuis septembre 2010 et occupe une cellule adaptée aux personnes à mobilité réduite. Estimant subir des traitements inhumains et dégradants, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy pour faire cesser ces conditions. Par une ordonnance du 29 janvier 2025, ce magistrat a enjoint à l’administration de garantir un lever quotidien, des douches régulières et une vêture décente. Le ministre de la justice a interjeté appel de cette décision en contestant l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales. Le problème de droit réside dans la détermination des mesures nécessaires pour protéger la dignité d’un détenu vulnérable sans empiéter sur les compétences médicales. La juridiction administrative annule l’injonction initiale en considérant que l’instruction démontre une prise en charge quotidienne suffisante et adaptée aux contraintes de santé. L’analyse portera d’abord sur la réaffirmation des obligations sécuritaires et sanitaires de l’administration (I), puis sur le contrôle rigoureux exercé par le juge des référés (II).
I. La réaffirmation des obligations de l’administration envers les détenus vulnérables
A. Le fondement du devoir de protection de la dignité humaine
Le Conseil d’État rappelle avec fermeté que l’administration doit garantir le respect effectif des exigences découlant des articles 2 et 3 de la convention européenne. Cette mission incombe spécifiquement aux chefs de service qui doivent prendre les mesures propres à protéger la vie et l’intégrité physique des personnes écrouées. La décision précise qu’il appartient à l’autorité publique d’éviter aux détenus « tout traitement inhumain ou dégradant » en raison de leur situation d’entière dépendance. Le droit de ne pas subir de tels traitements constitue une liberté fondamentale dont la sauvegarde justifie l’intervention du juge des référés. Cette protection est renforcée pour les individus vulnérables dont l’état physique nécessite un accompagnement constant et des aménagements matériels spécifiques au sein de l’établissement. La carence de l’administration peut ainsi créer un danger caractérisé et imminent si elle affecte de manière disproportionnée les droits garantis aux personnes détenues.
B. La validation de l’organisation des soins et de l’assistance quotidienne
Le juge des référés examine scrupuleusement les modalités concrètes de prise en charge du requérant pour écarter tout grief de traitement indigne. L’instruction révèle que l’intéressé bénéficie des soins quotidiens d’un aide-soignant rattaché à un centre hospitalier pour sa toilette et son lever. Le Conseil d’État relève que l’état physique du détenu n’est pas « compatible avec la prise de douches », justifiant ainsi le recours aux toilettes quotidiennes. L’administration emploie également un codétenu formé pour assister le requérant dans la satisfaction de ses besoins élémentaires en dehors des heures médicales. Les craintes exprimées concernant la présence de cet auxiliaire sont écartées faute d’éléments probants, d’autant qu’un agent pénitentiaire surveille systématiquement ces interventions. La haute juridiction considère que ces mesures suffisent à prévenir toute atteinte grave aux droits fondamentaux du demandeur malgré sa situation de handicap.
II. Le contrôle restreint du juge des référés sur la légalité des mesures de détention
A. L’exigence d’une atteinte grave et manifestement illégale
L’annulation de l’ordonnance de première instance souligne la sévérité du contrôle exercé par le juge du référé-liberté sur les allégations de mauvais traitements. Pour prescrire des mesures de sauvegarde, le juge doit constater une carence administrative créant un danger manifeste pour la vie ou la dignité humaine. En l’espèce, les éléments produits par le ministre de la justice démontrent que l’administration n’est pas restée inerte face aux besoins du détenu. Le juge des référés estime que les griefs relatifs à l’absence de vêtements décents ou à l’insuffisance des soins ne sont pas étayés par l’instruction. « Dans ces conditions », le ministre est fondé à soutenir que le premier juge a erronément retenu l’existence d’une atteinte manifestement illégale. La décision rappelle que l’intervention juridictionnelle urgente suppose une rupture flagrante avec les obligations de service public qui n’est pas caractérisée ici.
B. La portée d’une décision d’espèce ancrée dans la réalité probatoire
Cette ordonnance constitue une décision d’espèce dont la portée est étroitement liée à l’appréciation des faits et des pièces fournies par les parties. Le Conseil d’État rejette également l’appel incident concernant la présence de nuisibles en s’appuyant sur les interventions régulières d’une société de désinsectisation. L’absence d’éléments nouveaux apportés en appel par le requérant condamne ses prétentions tendant à obtenir des mesures d’extermination spécifiques dans sa cellule. La solution confirme que la protection contre les traitements dégradants ne peut conduire à des injonctions dépourvues de fondement matériel solide et vérifiable. Le juge refuse ainsi de se substituer à l’administration lorsque celle-ci justifie de l’exécution diligente de ses missions sanitaires et de maintenance préventive. Cette position équilibrée protège l’autorité administrative contre des recours abusifs tout en maintenant une vigilance théorique sur la vulnérabilité extrême de certains détenus.