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L’effondrement d’un ouvrage de soutènement sur un fonds voisin soulève la question classique de l’articulation entre responsabilités du propriétaire et celles des constructeurs intervenus sur les parcelles concernées. Le tribunal judiciaire d’Alès, statuant en référé le 19 juin 2025, apporte un éclairage utile sur les conditions de mise en œuvre d’une mesure d’expertise et sur la nécessité de maintenir en cause l’ensemble des intervenants susceptibles d’avoir contribué à la réalisation du dommage.
Les faits à l’origine du litige s’inscrivent dans le cadre d’un lotissement situé à Saint-Martin-de-Valgalgues. Un particulier avait acquis le 26 septembre 2022 une parcelle de terrain à bâtir auprès d’un vendeur. Il y avait fait édifier sa maison d’habitation par une société de construction, assurée auprès d’une compagnie d’assurance de droit allemand. La parcelle voisine, appartenant à un couple, comportait un enrochement retenant les terres situées en amont. Lors de l’édification de la maison, le constructeur avait aménagé une rampe d’accès le long de cet enrochement. Le 10 février 2024, à la suite d’un épisode pluvieux important, l’enrochement s’est partiellement effondré, entraînant la chute de rochers sur le terrain situé en contrebas.
La commune avait saisi le tribunal administratif de Nîmes d’un référé péril imminent. Un expert désigné par cette juridiction avait rendu son rapport le 29 février 2024, concluant à l’existence d’un danger imminent et identifiant comme cause probable « une poussée hydrostatique des terres, liée à un déchaussement provoqué par la réalisation d’un cheminement qui coupe le talus originel sans respect des règles de l’art ». Un arrêté de mise en sécurité avait été pris par le maire le 1er mars 2024, prescrivant des mesures conservatoires aux propriétaires de l’enrochement. Ces derniers avaient fait réaliser les travaux de sécurisation puis déclaré le sinistre auprès de leur assureur, qui avait classé le dossier sans suite après un rapport d’expertise amiable imputant la cause déterminante du sinistre au décaissement des terres par le constructeur.
L’acquéreur du terrain situé en contrebas avait assigné les propriétaires de l’enrochement devant le juge des référés du tribunal judiciaire d’Alès aux fins de désignation d’un expert judiciaire. Les propriétaires de l’enrochement avaient eux-mêmes appelé en cause le constructeur, son assureur, le vendeur initial du terrain, l’assureur du demandeur, une société ayant réalisé des travaux sur le mur de soutènement, ainsi que leur propre assureur habitation. Le vendeur initial sollicitait sa mise hors de cause. L’ensemble des défendeurs comparants formulait des protestations et réserves d’usage quant à la mesure d’expertise sollicitée.
Le juge des référés était saisi de deux questions distinctes. La première portait sur le bien-fondé de la mesure d’expertise sollicitée. La seconde concernait la demande de mise hors de cause du vendeur initial du terrain.
Le tribunal a ordonné l’expertise judiciaire sollicitée et rejeté la demande de mise hors de cause, maintenant ainsi l’ancien propriétaire dans la procédure.
L’ordonnance rendue présente un double intérêt. Elle rappelle les conditions de recevabilité d’une demande d’expertise in futurum tout en précisant l’étendue de la contradiction nécessaire (I). Elle illustre également l’appréciation souveraine du juge des référés quant à la détermination du périmètre des parties à l’expertise (II).
I. Les conditions de la mesure d’expertise in futurum : un motif légitime caractérisé
Le juge des référés rappelle avec précision le cadre juridique applicable à la mesure d’instruction avant tout procès (A), puis vérifie méthodiquement la réunion des conditions exigées au cas d’espèce (B).
A. Le rappel du cadre normatif de l’article 145 du code de procédure civile
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 145 du code de procédure civile, aux termes duquel « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Cette disposition, issue du décret du 5 décembre 1975, constitue le fondement de ce que la doctrine désigne sous l’appellation de référé probatoire ou référé in futurum.
L’ordonnance souligne opportunément que « la présence ou non de contestation sérieuse est indifférente à la mise en place d’une mesure d’expertise ». Cette précision n’est pas superflue. Elle distingue le référé probatoire du référé provision de l’article 835 alinéa 2 du même code, lequel exige précisément l’absence de contestation sérieuse. Le demandeur à une mesure d’instruction in futurum n’a donc pas à démontrer le bien-fondé de sa prétention future, mais seulement l’existence d’un motif légitime.
Le juge énonce ensuite les trois conditions cumulatives que doit satisfaire la mesure sollicitée : « un litige potentiel à objet et fondement suffisamment caractérisé », « une prétention non manifestement vouée à l’échec » et « la pertinence des faits et l’utilité de la preuve ». Cette trilogie, désormais classique en jurisprudence, procède d’une lecture finaliste de l’article 145. Elle vise à éviter les mesures exploratoires ou dilatoires tout en préservant le droit à la preuve.
B. La caractérisation du motif légitime au cas d’espèce
L’application de ces critères au litige ne soulevait guère de difficulté. Le tribunal relève que deux rapports d’expertise avaient déjà été établis : celui de l’expert désigné par le tribunal administratif et celui du cabinet d’expertise mandaté par l’assureur des propriétaires de l’enrochement. Le premier avait identifié une cause probable liée au décaissement réalisé par le constructeur, tout en notant que « l’enrochement initial ait été réalisé pas de façon strictement conforme aux règles de l’art ». Le second avait conclu à un « lien de causalité direct entre les travaux réalisés par » le constructeur « et la survenance du sinistre », tout en relevant que l’enrochement était « visiblement dépourvu d’une fondation béton conforme aux règles de l’art ».
Cette divergence sur la part respective des causes du dommage suffisait à caractériser un litige potentiel. Le tribunal note que l’expertise sollicitée doit « servir à quantifier et rechercher l’origine des désordres invoqués et établir la preuve de faits pouvant donner lieu à une action en responsabilité ». La prétention future, qu’elle soit fondée sur la responsabilité délictuelle du fait des choses, sur la responsabilité contractuelle du constructeur ou sur la garantie décennale, n’apparaissait pas manifestement vouée à l’échec.
La pertinence de la mesure ne pouvait davantage être contestée. L’expert désigné par le tribunal administratif avait reçu une mission limitée à la constatation du péril imminent et à la proposition de mesures conservatoires. Il n’était pas « saisi de déterminer les causes et conséquences de l’enrochement, ni les responsabilités pouvant être recherchées ». Une nouvelle expertise, dotée d’une mission élargie, apparaissait donc utile à l’établissement de la preuve.
II. Le périmètre des parties à l’expertise : le maintien de l’ancien propriétaire dans la cause
Le refus de prononcer la mise hors de cause sollicitée par le vendeur initial illustre une conception extensive de la contradiction utile aux opérations d’expertise (A), conception qui répond à une logique d’efficacité probatoire (B).
A. Le rejet de la demande de mise hors de cause
Le vendeur initial du terrain faisait valoir qu’il n’était « en aucun cas concerné par la présente procédure puisqu’il n’a fait que vendre, avec son épouse, un terrain nu ». L’argument ne manquait pas de pertinence apparente. La vente d’un terrain nu ne crée pas, en principe, d’obligation de garantie contre les vices affectant les constructions ultérieurement édifiées par l’acquéreur. Le vendeur semblait donc étranger au fait générateur du dommage.
Le tribunal rejette néanmoins cette demande en se fondant sur les déclarations des propriétaires de l’enrochement. Ceux-ci avaient indiqué que « la parcelle de » l’acquéreur « a fait l’objet de deux phases de terrassement, une première avant la vente du terrain et une seconde lors de la construction ». Le vendeur « était donc le propriétaire de la parcelle lors du premier terrassement ». Dès lors, « il est tout à fait possible que ce premier terrassement ait pu contribuer à fragiliser le mur de soutènement ».
L’ordonnance prend soin de préciser que le rejet de la mise hors de cause intervient « à ce stade de la procédure ». Cette formulation suggère que la question pourrait être réexaminée au fond, une fois les conclusions de l’expert connues. Le juge des référés, statuant sur le fondement de l’article 145, n’a pas à se prononcer définitivement sur les responsabilités encourues.
B. La logique d’efficacité probatoire justifiant ce maintien
La motivation de l’ordonnance révèle une préoccupation d’efficacité des opérations d’expertise. Le tribunal indique qu’« il est important d’attraire à la cause l’ancien propriétaire, afin qu’il puisse apporter des précisions à l’expert sur la nature du terrain lors de la vente, et s’il avait entrepris, en amont de cette vente, des travaux de terrassement susceptibles d’avoir contribué à la réalisation du dommage ».
Cette motivation procède d’une lecture finaliste de la notion de partie à l’expertise. Il ne s’agit pas tant de préjuger d’une responsabilité que d’assurer la complétude des investigations. L’expert a besoin de reconstituer la chronologie des travaux réalisés sur les parcelles concernées. Le vendeur initial est le seul à pouvoir fournir des informations sur l’état du terrain et les éventuels travaux de terrassement antérieurs à la vente.
La mission confiée à l’expert reflète cette préoccupation. Celui-ci devra notamment « établir la chronologie des constructions sur les parcelles désignées par le litige » et « examiner et décrire les travaux réalisés ». Sans la participation du vendeur initial, ces points de mission risqueraient de ne pouvoir être complètement satisfaits.
La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante qui admet largement l’intervention des tiers aux opérations d’expertise. L’article 331 du code de procédure civile, visé par l’ordonnance, permet la mise en cause d’un tiers « afin de lui rendre commun le jugement ». L’opposabilité de l’expertise à l’ensemble des intervenants potentiels constitue un gage d’efficacité de la procédure au fond. Elle évite la multiplication des expertises contradictoires et garantit l’égalité des armes entre les parties.
L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire d’Alès constitue une application orthodoxe des règles gouvernant le référé expertise. Elle rappelle que le motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile ne saurait se confondre avec l’exigence de démonstration de la responsabilité. Elle illustre également la fonction préparatoire de l’expertise in futurum, qui vise à éclairer les parties sur leurs droits respectifs avant tout engagement d’une instance au fond. Le maintien de l’ancien propriétaire dans la cause, bien qu’il n’ait vendu qu’un terrain nu, témoigne d’une conception pragmatique de la contradiction, soucieuse d’assurer l’efficacité probatoire des opérations expertales.