Tribunal judiciaire de Bobigny, le 23 juin 2025, n°25/05487

Le contrôle juridictionnel des mesures d’hospitalisation psychiatrique sans consentement constitue une garantie fondamentale des libertés individuelles. L’ordonnance rendue le 23 juin 2025 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Bobigny illustre l’articulation entre le pouvoir administratif de l’autorité hospitalière et l’office du juge judiciaire en cette matière.

En l’espèce, une personne a été admise en soins psychiatriques sans consentement le 12 juin 2025, sur décision du directeur d’un établissement hospitalier. Conformément aux dispositions légales, le directeur a saisi le juge des libertés et de la détention le 17 juin 2025 aux fins de poursuite de l’hospitalisation complète. Le 23 juin 2025, avant l’audience, l’établissement a informé le juge de la levée de la mesure de soins sans consentement par courriel.

La procédure se déroule donc entièrement devant le juge des libertés et de la détention, sans décision préalable d’une autre juridiction. Le directeur de l’établissement, à l’origine de la saisine obligatoire, a lui-même mis fin à la mesure privative de liberté avant que le juge ne statue.

La question posée au juge était de déterminer s’il devait néanmoins statuer sur le bien-fondé de la mesure d’hospitalisation complète alors que celle-ci avait été levée antérieurement à sa décision.

Le juge des libertés et de la détention a dit n’y avoir lieu à statuer, considérant que « la saisine de Monsieur le directeur […] est devenue sans objet puisque la mesure d’hospitalisation complète a été levée ».

Cette ordonnance invite à examiner la disparition de l’objet du litige comme cause d’extinction de l’instance (I), avant d’analyser les implications de cette solution sur le contrôle juridictionnel des hospitalisations sous contrainte (II).

I. La levée de la mesure privative de liberté, cause d’extinction de l’instance

La décision commentée consacre le principe selon lequel la disparition de l’objet de la demande prive le juge de son pouvoir de statuer (A), tout en s’inscrivant dans le cadre spécifique du contentieux psychiatrique (B).

A. Le non-lieu à statuer fondé sur la disparition de l’objet du litige

Le juge retient que « la saisine […] est devenue sans objet puisque la mesure d’hospitalisation complète a été levée ». Cette motivation traduit l’application d’un principe général de procédure civile. L’office du juge suppose l’existence d’un litige actuel à trancher. La levée administrative de la mesure fait disparaître la privation de liberté dont le juge devait apprécier la poursuite.

Le non-lieu à statuer se distingue de l’irrecevabilité et du rejet au fond. Il ne sanctionne pas un défaut dans les conditions de l’action, mais constate l’absence d’utilité de la décision sollicitée. Le juge des libertés et de la détention était saisi aux fins de poursuite de l’hospitalisation complète. Cette demande n’a plus de sens dès lors que l’intéressé a recouvré sa liberté.

La solution retenue respecte l’économie procédurale. Statuer sur le bien-fondé d’une mesure désormais inexistante reviendrait à rendre une décision purement platonique. Le juge judiciaire n’est pas une juridiction consultative. Son intervention suppose un enjeu concret pour les droits des parties.

B. L’application au contentieux de l’hospitalisation psychiatrique

L’article L. 3211-12 du Code de la santé publique organise le contrôle juridictionnel des mesures de soins psychiatriques sans consentement. Ce contrôle intervient de plein droit dans un délai déterminé après l’admission. Le directeur de l’établissement doit saisir le juge des libertés et de la détention qui vérifie la régularité et le bien-fondé de la mesure.

L’ordonnance commentée s’inscrit dans ce cadre légal. La saisine du 17 juin 2025 respectait l’obligation faite au directeur. La levée de la mesure le 23 juin 2025, avant l’audience, a privé cette saisine de son objet. Le juge n’avait plus à autoriser la poursuite d’une hospitalisation qui avait cessé.

Cette situation n’est pas exceptionnelle en pratique. L’état de santé du patient peut s’améliorer rapidement. L’équipe médicale peut estimer que les conditions de l’hospitalisation complète ne sont plus réunies. Le directeur de l’établissement dispose alors du pouvoir de lever la mesure sans attendre la décision judiciaire.

II. Les limites du contrôle juridictionnel révélées par la décision

L’ordonnance de non-lieu à statuer soulève des interrogations quant à l’effectivité du contrôle judiciaire (A) et ses possibles évolutions (B).

A. L’absence de contrôle a posteriori de la régularité de la mesure

Le juge des libertés et de la détention, en disant n’y avoir lieu à statuer, n’examine pas la régularité de la procédure d’admission. Il ne vérifie pas si les conditions légales de l’hospitalisation sans consentement étaient réunies. Il ne se prononce pas sur le respect des formalités prescrites par le Code de la santé publique.

Cette abstention peut paraître regrettable au regard de la protection des libertés individuelles. L’article 66 de la Constitution fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle. Une personne a été privée de liberté pendant onze jours sans que cette privation soit soumise au moindre contrôle juridictionnel effectif. La levée administrative de la mesure a permis d’éviter ce contrôle.

Le dispositif légal actuel ne prévoit pas de contrôle obligatoire lorsque la mesure prend fin avant l’audience. Le patient pourrait certes contester a posteriori la régularité de son hospitalisation par une action en responsabilité. Cette voie de recours suppose toutefois une démarche contentieuse distincte, plus lourde et plus longue.

B. Les perspectives d’un renforcement du contrôle juridictionnel

La doctrine a parfois suggéré l’instauration d’un contrôle systématique de la régularité des mesures d’hospitalisation psychiatrique, y compris après leur levée. Un tel contrôle permettrait de vérifier le respect des garanties procédurales indépendamment de la durée effective de la privation de liberté.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme exige un contrôle juridictionnel effectif des privations de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. Ce contrôle doit intervenir à bref délai. La levée de la mesure avant l’audience pourrait, dans certaines hypothèses, priver l’intéressé de ce droit au contrôle juridictionnel.

L’ordonnance commentée illustre les tensions inhérentes au dispositif actuel. Le pouvoir de lever la mesure appartient à l’autorité administrative hospitalière. L’exercice de ce pouvoir peut avoir pour effet, intentionnel ou non, de faire obstacle au contrôle judiciaire. La question de l’équilibre entre efficacité administrative et garantie des libertés demeure ouverte.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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