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Le contentieux des baux d’habitation demeure une source majeure de litiges portés devant les juridictions civiles. La question de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers illustre la tension permanente entre la protection du droit de propriété du bailleur et celle du droit au logement du locataire.
L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux le 13 juin 2025 s’inscrit dans cette problématique classique tout en soulevant des interrogations relatives aux pouvoirs du juge face à un locataire défaillant qui ne comparaît pas.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Par acte sous seing privé du 12 juillet 2022, une bailleresse a consenti un bail d’habitation à une locataire portant sur un logement situé dans l’agglomération bordelaise, moyennant un loyer mensuel de 350 euros et 100 euros de provisions sur charges. Face à l’accumulation d’impayés, la bailleresse a fait délivrer le 11 octobre 2024 un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme de 2.239,20 euros. Un congé pour vente a été délivré le même jour pour le 31 juillet 2025.
Par acte du 27 décembre 2024, la bailleresse a assigné la locataire devant le juge des contentieux de la protection statuant en référé aux fins de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, d’expulsion et de condamnation au paiement des arriérés. L’assignation a été notifiée au préfet le 30 décembre 2024. L’affaire a été appelée à l’audience du 28 mars 2025 puis renvoyée au 11 avril 2025. La locataire, assignée à domicile avec dépôt de l’acte en étude, n’a comparu à aucune des audiences et n’a pas répondu aux convocations du service préfectoral chargé du diagnostic social.
La bailleresse a maintenu ses demandes, précisant que la dette s’élevait à 1.790 euros au 31 décembre 2024 et que le loyer était destiné à financer ses frais de séjour en établissement pour personnes âgées. Elle s’est opposée à tout délai de paiement.
La question posée au juge était celle de savoir si, en présence d’un locataire qui a repris le paiement du loyer courant mais qui ne comparaît pas à l’audience et n’a formulé aucune demande de délais, le juge dispose du pouvoir d’accorder d’office des délais suspensifs de la clause résolutoire.
Le juge des contentieux de la protection a constaté l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 12 décembre 2024, ordonné l’expulsion de la locataire et l’a condamnée au paiement d’une provision de 1.790 euros ainsi qu’au versement d’une indemnité d’occupation jusqu’à la libération effective des lieux.
Cette décision appelle une analyse portant sur deux aspects essentiels. Le premier concerne le mécanisme d’acquisition de la clause résolutoire et ses conditions de mise en œuvre (I). Le second porte sur les limites des pouvoirs du juge des référés face à un locataire défaillant non comparant (II).
I. L’acquisition automatique de la clause résolutoire pour défaut de paiement
Le juge des contentieux de la protection rappelle le cadre juridique strict qui gouverne la mise en œuvre de la clause résolutoire insérée dans les baux d’habitation (A), avant de constater son acquisition en l’espèce (B).
A. Le formalisme protecteur du commandement de payer
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 organise un mécanisme de résiliation de plein droit du bail soumis à un formalisme rigoureux. La clause résolutoire « ne produit effet que six semaines après un commandement demeuré infructueux ». Le juge précise toutefois que lorsque le bail en cours prévoyait, selon les dispositions anciennes, un délai de deux mois, « ce délai continue à régir les relations entre les parties ».
Cette solution respecte le principe de survie de la loi ancienne pour les contrats en cours. Le commandement de payer constitue ainsi la première étape obligatoire de la procédure. Il doit comporter les mentions prescrites à peine de nullité par l’article 24 I de la loi de 1989, notamment l’indication du montant de la dette et la reproduction de certaines dispositions légales.
Le juge relève en l’espèce que le commandement délivré le 11 octobre 2024 « comporte les mentions obligatoires prescrites à peine de nullité ». Ce contrôle de régularité formelle s’impose au juge même en l’absence de contestation du locataire, la protection légale étant d’ordre public.
B. Le constat de l’acquisition de la clause
Le mécanisme de la clause résolutoire repose sur une logique d’automaticité tempérée par l’intervention judiciaire. Le juge « constate » l’acquisition de la clause, il ne la prononce pas. Cette nuance terminologique traduit l’idée que la résiliation opère de plein droit par le seul effet de la loi, le juge n’ayant qu’un rôle déclaratif.
En l’espèce, la locataire « n’ayant pas, dans le délai légal de deux mois à compter de la délivrance du commandement du 11.10.2024, réglé les causes dudit commandement », le juge constate la résiliation à la date du 12 décembre 2024. Cette date résulte d’un calcul arithmétique : deux mois après le 11 octobre 2024, le délai expirait le 11 décembre, la résiliation étant acquise le lendemain.
La décision illustre la rigueur du mécanisme légal. Même si le décompte produit montre que la locataire avait repris le paiement du loyer courant en octobre, novembre et décembre 2024, cette reprise n’a pas suffi à paralyser l’effet de la clause. Le paiement partiel postérieur au commandement ne purge pas l’arriéré visé et ne fait pas obstacle à l’acquisition de la clause résolutoire.
II. L’absence de pouvoir d’office du juge en matière de délais de paiement
La décision se prononce sur les limites des pouvoirs du juge face à un locataire non comparant (A), ce qui conduit à s’interroger sur la portée de cette solution au regard de l’objectif de prévention des expulsions (B).
A. L’exigence d’une demande expresse de délais
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 permet au juge d’accorder des délais de paiement au locataire et de suspendre les effets de la clause résolutoire. Cette faculté constitue une dérogation majeure au principe d’automaticité de la résiliation. La jurisprudence de la Cour de cassation a toutefois précisé que ces délais ne peuvent être accordés d’office.
Le juge bordelais fait une application stricte de ce principe. Il relève que la locataire a repris le paiement du loyer courant et que « l’absence de décompte plus actuel laisse penser que cette reprise a continué jusqu’à la date de l’audience ». Cette circonstance aurait pu justifier l’octroi de délais suspensifs permettant à la locataire d’apurer progressivement sa dette tout en conservant son logement.
Cependant, le juge constate qu’« aucune demande de délais suspensifs de la clause résolutoire n’a été formulée de sa part par écrit adressé au tribunal ». Il en déduit que, « faute de présence à l’audience, et d’élément transmis permettant de caractériser sa capacité à apurer sa dette locative, alors que la bailleresse n’a pas formulé de demande de délais au profit de sa locataire, le juge ne dispose pas du pouvoir de l’accorder d’office ».
B. Les implications de cette solution sur la politique de prévention des expulsions
Cette position soulève des interrogations au regard des objectifs poursuivis par le législateur en matière de prévention des expulsions locatives. La loi du 27 juillet 2023 a renforcé les dispositifs d’accompagnement social des locataires en difficulté, notamment par la saisine obligatoire de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions. Le juge relève d’ailleurs que cette saisine « n’est pas une condition de recevabilité en présence d’un bailleur personne physique ».
La non-comparution du locataire et son absence de réponse aux convocations du service préfectoral placent le juge dans une situation délicate. D’un côté, le respect du principe dispositif interdit au juge de se substituer aux parties dans la formulation de leurs demandes. De l’autre, l’objectif constitutionnel de droit au logement pourrait justifier une approche plus protectrice.
La décision tranche en faveur du strict respect des règles processuelles. Le juge ne peut accorder d’office des délais qui n’ont pas été demandés, même lorsque les circonstances de fait pourraient le justifier. Cette solution, conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, fait peser sur le locataire la responsabilité de sa propre défense. L’inertie procédurale de la locataire, qui n’a comparu ni ne s’est fait représenter, la prive du bénéfice des mesures protectrices que la loi met à sa disposition.
La portée de cette ordonnance demeure limitée au cas d’espèce, s’agissant d’une décision de premier ressort susceptible d’appel. Elle illustre néanmoins la tension entre l’automaticité du mécanisme de la clause résolutoire et les tempéraments que le législateur a voulu y apporter, tempéraments qui restent subordonnés à l’initiative du locataire.