Tribunal judiciaire de Du Mans, le 13 juin 2025, n°25/00747

L’hospitalisation d’office sans consentement constitue l’une des restrictions les plus graves à la liberté individuelle que le droit puisse autoriser. Elle place le juge des libertés et de la détention au carrefour de deux impératifs parfois contradictoires : la protection de la personne malade et la préservation de ses droits fondamentaux. L’ordonnance rendue par le Tribunal judiciaire du Mans le 13 juin 2025 illustre cette tension avec une particulière netteté.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Une patiente âgée de soixante-neuf ans, résidente d’un EHPAD et placée sous curatelle, a été admise en soins psychiatriques sans consentement le 3 juin 2025. Cette admission a été décidée par le directeur de l’Établissement public de santé mentale de la Sarthe selon la procédure d’urgence à la demande d’un tiers. La patiente présentait une décompensation d’une phase maniaque de sa pathologie, accompagnée de troubles du comportement avec mise en danger de sa personne et d’autrui, ainsi que de difficultés à prendre son traitement.

Le directeur de l’établissement a saisi le juge des libertés et de la détention le 10 juin 2025, conformément aux délais prévus par l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, afin qu’il statue sur la poursuite de l’hospitalisation complète. Le ministère public a rendu son avis le 11 juin 2025. Lors de l’audience du 12 juin 2025, la patiente n’a pu comparaître en raison de son état de santé, attesté par un certificat médical. Son avocat s’en est rapporté à justice.

La question posée au juge était la suivante : les conditions légales autorisant le maintien de l’hospitalisation complète sans consentement étaient-elles réunies au regard des certificats médicaux produits ?

Le tribunal a maintenu le régime d’hospitalisation complète. Il a relevé que les certificats médicaux établissaient que la patiente souffrait de troubles rendant son consentement impossible et imposant des soins assortis d’une surveillance médicale constante. Le juge a estimé l’hospitalisation « adaptée, nécessaire et proportionnée » à son état.

Cette décision invite à examiner successivement les conditions de fond du maintien de l’hospitalisation psychiatrique contrainte (I), puis les modalités du contrôle juridictionnel exercé sur ces mesures privatives de liberté (II).

I. Les conditions substantielles du maintien de l’hospitalisation sans consentement

Le maintien de l’hospitalisation complète repose sur la vérification de conditions cumulatives strictement définies par la loi (A), dont l’appréciation relève en premier lieu de l’autorité médicale (B).

A. L’exigence de conditions cumulatives légalement définies

L’article L. 3212-1 du code de la santé publique subordonne l’hospitalisation complète sans consentement à la réunion de deux conditions. La première tient à l’impossibilité pour le patient de consentir aux soins en raison de ses troubles mentaux. La seconde exige que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante.

Le tribunal rappelle ces exigences avec précision. Il souligne que « les troubles mentaux rendent impossible son consentement » et que « son état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante ». Cette double condition traduit l’équilibre recherché par le législateur entre la protection de la santé du patient et le respect de sa liberté individuelle.

En l’espèce, les certificats médicaux successifs ont confirmé la présence de ces deux éléments. Le certificat initial mentionnait « la décompensation d’une phase maniaque de sa pathologie accompagnée de troubles du comportement avec mise en danger de sa personne et d’autrui ». Les certificats de vingt-quatre heures et de soixante-douze heures ont ensuite attesté de « l’impossibilité d’un consentement et la nécessité d’une surveillance médicale constante ».

B. La prééminence de l’évaluation médicale dans la caractérisation des troubles

Le juge des libertés et de la détention ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation autonome sur la réalité des troubles psychiatriques. L’ordonnance le rappelle expressément : le juge « ne peut en revanche substituer son avis à l’évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins ».

Cette limite tient à la nature même de l’appréciation requise. La caractérisation des troubles mentaux relève d’une compétence technique que seul le corps médical détient. L’avis motivé du psychiatre de l’établissement fait état d’une « désorganisation de la pensée et du discours » et de difficultés concernant « l’alimentation, l’hydratation et la prise de son traitement ». Ces éléments cliniques échappent à l’appréciation du juge.

La force probante des certificats médicaux conditionne ainsi directement l’issue du contrôle juridictionnel. Le tribunal vérifie leur régularité formelle et leur cohérence, mais ne saurait remettre en cause le diagnostic posé par les praticiens.

II. L’étendue et les limites du contrôle juridictionnel

Le contrôle du juge porte sur le respect des garanties procédurales entourant la mesure (A) et sur l’appréciation de son caractère proportionné à la situation du patient (B).

A. La vérification de la régularité procédurale de la mesure

Le tribunal s’assure en premier lieu du respect des délais légaux de saisine. L’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique impose que le juge soit saisi avant l’expiration d’un délai de douze jours à compter de l’admission. L’ordonnance constate que « les délais fixés à l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique pour la saisine du juge des libertés et de la détention (…) ont ensuite été respectés ».

La patiente ayant été admise le 3 juin 2025 et le juge saisi le 10 juin 2025, le délai légal a effectivement été observé. Cette vérification constitue une garantie essentielle contre les hospitalisations prolongées sans contrôle judiciaire.

L’impossibilité pour la patiente de comparaître a été attestée par certificat médical. Son avocat l’a représentée à l’audience, assurant ainsi le respect du principe du contradictoire. Cette représentation obligatoire constitue une protection procédurale majeure introduite par la loi du 5 juillet 2011.

B. L’appréciation du caractère adapté, nécessaire et proportionné de la mesure

Au-delà de la vérification formelle, le juge exerce un contrôle de proportionnalité sur la mesure. L’ordonnance affirme que « son hospitalisation complète est donc justifiée tout en apparaissant adaptée, nécessaire et proportionnée à son état ».

Cette triple exigence traduit l’influence du droit européen sur le contrôle des mesures privatives de liberté. L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme impose que toute privation de liberté réponde à un but légitime et demeure proportionnée à ce but.

Le contrôle de proportionnalité implique de vérifier qu’aucune mesure moins contraignante ne permettrait d’atteindre l’objectif thérapeutique poursuivi. L’absence d’amélioration de l’état de la patiente, caractérisée par le maintien de la désorganisation psychique et des difficultés d’alimentation, justifiait la poursuite de l’hospitalisation complète plutôt que le passage à un programme de soins ambulatoires.

Cette ordonnance s’inscrit dans la jurisprudence constante des juridictions du fond en matière de contrôle des hospitalisations sans consentement. Elle illustre l’équilibre délicat que le juge doit maintenir entre le respect de l’expertise médicale et l’exercice effectif de son office de gardien des libertés individuelles. La portée de cette décision demeure limitée à l’espèce, mais elle rappelle utilement les contours du contrôle juridictionnel en cette matière sensible.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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