- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025 s’inscrit dans le contentieux récurrent des impayés locatifs. Elle offre une illustration significative du régime de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation et des conditions restrictives d’octroi des délais de paiement.
Un bailleur social a consenti par acte sous seing privé du 1er juillet 2022 un bail portant sur un logement conventionné. Le loyer mensuel était fixé à 417,83 euros. Le locataire a cessé de régler ses loyers à compter de décembre 2022. Le 3 septembre 2024, le bailleur a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme de 2 034,69 euros. Le 30 août 2024, il avait préalablement saisi la caisse d’allocations familiales de la situation d’impayé. Par assignation délivrée le 11 février 2025, le bailleur a saisi le juge des référés aux fins de constat de la résiliation du bail, d’expulsion et de condamnation au paiement des arriérés. Le locataire, comparant en personne à l’audience du 13 mai 2025, a sollicité des délais de paiement en proposant des mensualités de 50 euros. Le bailleur a fait valoir que l’intéressé avait déjà fait l’objet d’une précédente procédure d’expulsion.
La question posée au juge était la suivante : le locataire qui n’a pas repris le paiement intégral du loyer courant avant l’audience peut-il bénéficier de délais de paiement suspendant les effets de la clause résolutoire ?
Le juge des contentieux de la protection a constaté la résiliation du bail à compter du 3 novembre 2024, ordonné l’expulsion et condamné le locataire au paiement de la somme provisionnelle de 1 980,46 euros. Il a refusé d’accorder des délais de paiement au motif que le locataire « ne règle pas le loyer courant avant l’audience, en dépit du faible montant de son loyer résiduel ».
Cette décision mérite examen en ce qu’elle rappelle le mécanisme de la clause résolutoire et ses conditions d’acquisition (I), avant d’illustrer la rigueur des exigences légales conditionnant l’octroi de délais de paiement (II).
I. L’acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers
La décision applique le régime légal de la clause résolutoire tel qu’issu de la loi du 6 juillet 1989 modifiée, tant dans ses conditions formelles (A) que dans la vérification du manquement du locataire (B).
A. Le respect du formalisme protecteur du commandement de payer
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023, subordonne l’effet de la clause résolutoire à la délivrance préalable d’un commandement de payer. Ce commandement doit respecter un formalisme strict, énuméré aux alinéas 2 à 8 du I de ce texte. La jurisprudence sanctionne par la nullité l’omission de l’une des mentions obligatoires.
En l’espèce, le commandement du 3 septembre 2024 n’a fait l’objet d’aucune contestation quant à sa régularité formelle. Le juge a pu constater que le délai de six semaines prévu par la loi s’était écoulé sans que le locataire n’apure sa dette. La décision relève que « Monsieur [N] n’a pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement dans le délai de deux mois ». Cette formulation, qui mentionne un délai de deux mois alors que la loi de 2023 a réduit ce délai à six semaines, pourrait prêter à discussion. Elle s’explique probablement par la référence au délai conventionnel prévu dans l’acte ou par une simple imprécision rédactionnelle sans incidence sur la solution.
Le bailleur avait par ailleurs respecté l’obligation de saisine préalable de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, par le biais du signalement à la caisse d’allocations familiales effectué le 30 août 2024, conformément au II de l’article 24. L’assignation avait été notifiée au préfet plus de six semaines avant l’audience, conformément au III du même texte.
B. La caractérisation de la défaillance du locataire
Le juge des référés constate que « le contrat de bail comporte une clause résolutoire » et que le locataire « n’a pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement ». Ces deux éléments suffisent à caractériser l’acquisition de plein droit de la clause résolutoire.
La décision précise que « Monsieur [N] présente une dette locative depuis le mois de décembre 2022 ». Cette ancienneté de la dette, remontant à près de deux ans et demi au jour de l’audience, témoigne d’une défaillance persistante du locataire. Le juge relève également que celui-ci « avait déjà fait l’objet d’une procédure d’expulsion », circonstance qui aggrave l’appréciation de sa situation.
La date de résiliation est fixée au 3 novembre 2024, soit à l’expiration du délai de deux mois suivant le commandement du 3 septembre 2024. Cette datation permet de déterminer le point de départ de l’indemnité d’occupation due par l’occupant sans droit ni titre. Le juge condamne ainsi le locataire au paiement de cette indemnité « égale au montant du loyer et des charges qui auraient été dus en cas de non-résiliation du bail », solution classique en la matière.
II. Le refus des délais de paiement faute de reprise du loyer courant
La décision refuse d’accorder des délais de paiement au locataire, en application stricte des conditions posées par le V de l’article 24 de la loi de 1989 (A), solution qui s’inscrit dans une jurisprudence constante (B).
A. L’exigence légale de reprise du versement intégral du loyer courant
Le V de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 permet au juge d’accorder des délais de paiement pouvant atteindre trois années, « à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Cette double condition est cumulative.
Le juge relève que le locataire « ne règle pas le loyer courant avant l’audience, en dépit du faible montant de son loyer résiduel ». Cette constatation suffit à écarter toute possibilité de délai. Le législateur a voulu subordonner le bénéfice des délais à une démonstration concrète de la capacité du locataire à honorer ses obligations. La reprise du paiement du loyer courant constitue ce test minimal de solvabilité et de bonne volonté.
La proposition du locataire de régler des mensualités de 50 euros ne pouvait prospérer. Cette offre de remboursement échelonné ne satisfaisait pas à l’exigence préalable de reprise du loyer courant. Le juge ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation lui permettant de déroger à cette condition légale expresse.
B. Une application rigoureuse conforme à la ratio legis
La sévérité de cette solution se justifie par la logique même du dispositif légal. Les délais de paiement ne constituent pas un droit du locataire défaillant mais une faveur judiciaire subordonnée à des garanties minimales pour le bailleur. La reprise du loyer courant démontre que le locataire peut, à l’avenir, exécuter normalement le contrat tout en apurant progressivement l’arriéré.
En l’espèce, le montant modique du loyer résiduel, que le juge prend soin de souligner, rendait cette exigence particulièrement accessible. Le locataire disposait d’un logement conventionné à un loyer inférieur à 420 euros mensuels, montant significativement inférieur aux prix du marché. Son incapacité à reprendre ce paiement courant révélait soit une situation financière irrémédiablement compromise, soit un défaut de diligence incompatible avec l’octroi de délais.
La circonstance que le locataire avait déjà fait l’objet d’une précédente procédure d’expulsion confortait cette analyse. Le bailleur social avait manifestement fait preuve de patience, la dette remontant à décembre 2022 pour une assignation délivrée seulement en février 2025. Cette tolérance passée ne pouvait justifier une prolongation indéfinie du maintien dans les lieux d’un locataire structurellement défaillant.
Le juge a en revanche débouté le bailleur de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, estimant qu’il « ne paraît pas inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge de la bailleresse ». Cette décision témoigne d’une prise en compte de la situation précaire du locataire, sans pour autant remettre en cause la rigueur de la solution au fond.