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Le jugement du Tribunal judiciaire de Lille du 13 juin 2025 offre une illustration classique du contentieux successoral lorsque les héritiers ne parviennent pas à s’entendre sur le partage d’une indivision. Cette décision met en lumière les mécanismes juridiques permettant de sortir d’une situation de blocage tout en rappelant les limites de la responsabilité civile dans ce contexte familial.
Un homme décédé en 2019 laissait pour lui succéder son épouse, issue d’un second mariage, et six enfants nés d’une précédente union. Par testament du 10 avril 2003, le défunt avait privé son épouse de la plupart de ses droits successoraux, ne lui conservant qu’un quart en usufruit, tout en apportant une précision quant à un bien immobilier acquis en partie avec le réemploi de la vente d’un immeuble antérieur. L’un des enfants a engagé une procédure devant le Tribunal judiciaire de Lille aux fins d’obtenir l’ouverture des opérations de liquidation-partage de la succession. Il sollicitait également la condamnation de la veuve au paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, invoquant un préjudice moral lié à l’impossibilité de faire son deuil du fait du refus de celle-ci de procéder à la vente du bien immobilier. La veuve, placée sous tutelle par décision du juge des tutelles du 1er février 2024, était représentée par sa tutrice. Elle ne s’opposait pas au principe du partage mais contestait la désignation des notaires proposés et sollicitait le rejet de la demande indemnitaire.
Le tribunal devait répondre à deux questions distinctes. La première portait sur le droit d’un indivisaire à obtenir judiciairement l’ouverture des opérations de partage en l’absence d’accord amiable. La seconde concernait la possibilité de retenir la responsabilité civile d’un coïndivisaire pour résistance fautive au partage, lorsque cette résistance aurait causé un préjudice moral à un autre indivisaire.
Le Tribunal judiciaire de Lille ordonne l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision successorale. Il désigne un notaire tiers pour procéder à ces opérations et en précise la mission. Il rejette la demande indemnitaire formée par le demandeur, estimant qu’il ne résulte pas des débats que l’échec des démarches amiables soit imputable à une résistance fautive de la défenderesse. Il laisse les dépens à la charge de chaque partie et rejette la demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile.
Cette décision illustre la mise en œuvre du droit imprescriptible au partage dans le cadre d’une indivision successorale complexe (I), tout en révélant les difficultés probatoires inhérentes à la caractérisation d’une faute délictuelle dans un contexte familial (II).
I. La consécration du droit au partage comme instrument de sortie de l’indivision
Le tribunal applique avec rigueur le principe selon lequel nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision (A), tout en organisant avec précision les modalités pratiques du partage judiciaire (B).
A. L’affirmation du caractère inconditionnel du droit au partage
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 815 du Code civil, dont il fait une application fidèle à la lettre du texte. Il énonce que « le texte n’implique pas que le tribunal statue sur l’imputabilité de l’échec des démarches amiables » et précise qu’« il faut mais il suffit qu’un indivisaire souhaite sortir de l’indivision pour qu’il puisse faire valoir ce droit en justice à défaut d’avoir trouvé un accord amiable ». Cette formulation traduit une conception objective du droit au partage, détaché de toute considération relative aux comportements respectifs des coïndivisaires.
Cette position s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle constante de la Cour de cassation, qui reconnaît au droit au partage un caractère d’ordre public. Le juge n’a pas à rechercher les causes de l’échec des négociations amiables pour faire droit à une demande de partage judiciaire. La seule constatation de l’existence d’une indivision et de la volonté d’un indivisaire d’en sortir suffit à justifier l’ouverture des opérations.
Le tribunal relève simplement qu’« il résulte de l’assignation des requérants et de leurs pièces que des démarches en vue du partage amiable ont été initiées, en vain ». Cette constatation factuelle suffit à justifier l’intervention judiciaire sans qu’il soit nécessaire d’approfondir les responsabilités de chacun dans l’échec du règlement amiable.
B. L’organisation pragmatique des opérations de partage
Le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations, conformément à l’article 1364 du Code de procédure civile qui prévoit cette possibilité « si la complexité des opérations le justifie ». Le choix du notaire mérite attention. Les parties proposaient des notaires différents et le tribunal a écarté toutes les propositions pour désigner un notaire tiers, justifiant ce choix par la nécessité de « garantir la sérénité des opérations ».
Cette décision traduit une préoccupation légitime d’impartialité dans un contexte familial conflictuel. La présence de six enfants d’un premier lit face à une veuve placée sous tutelle laissait présager des difficultés relationnelles que la désignation d’un notaire neutre permet d’atténuer.
La mission confiée au notaire est détaillée avec soin. Le tribunal rappelle notamment que celui-ci devra procéder à « l’évaluation de l’usufruit selon les règles applicables ». Cette précision répond à l’une des difficultés soulevées par la défenderesse, qui demandait que l’usufruit soit évalué sur une base économique calculée sur la valeur locative du bien. Le tribunal ne tranche pas cette question mais la renvoie au notaire, ce qui constitue une approche prudente dans un domaine où les méthodes d’évaluation peuvent varier.
II. Le rejet de la demande indemnitaire pour défaut de preuve d’une faute caractérisée
Le tribunal refuse de qualifier de fautive la résistance alléguée de la défenderesse au partage (A), ce qui conduit à une répartition équitable des frais de procédure conforme à la nature familiale du litige (B).
A. L’exigence d’une faute distincte du simple désaccord entre indivisaires
Le demandeur fondait sa demande indemnitaire sur l’article 1240 du Code civil, invoquant un préjudice moral consistant en « l’impossibilité de faire son deuil » du fait du refus de la veuve de procéder à la vente du bien immobilier. Le tribunal rejette cette demande en relevant qu’« il ne résulte pas des débats ni des pièces, et particulièrement des échanges produits, que l’inaboutissement des démarches amiables soit consécutif à une résistance fautive de la défenderesse ».
Cette motivation souligne la distinction fondamentale entre le désaccord, inhérent à toute situation d’indivision, et la faute délictuelle susceptible d’engager la responsabilité civile. Un indivisaire peut légitimement refuser de donner son accord à une vente ou exprimer des désaccords sur les modalités du partage sans pour autant commettre une faute au sens de l’article 1240.
Le tribunal prend soin de contextualiser le comportement de la défenderesse en mentionnant qu’elle « a été placée sous mesure de tutelle peu de temps après les démarches dont il est justifié par le requérant aux fins de vente du bien immobilier ». Cette circonstance éclaire d’un jour particulier les difficultés rencontrées dans les négociations. La dégradation de l’état de santé de la veuve, ayant conduit à l’ouverture d’une mesure de protection, peut expliquer certains blocages sans qu’il soit possible d’y voir une résistance fautive.
B. Une répartition des frais adaptée au contentieux familial
Le tribunal décide de « laisser les dépens à chacune des parties, eu égard à la nature familiale du litige » et rejette la demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile « pour les mêmes motifs ». Cette solution traduit une volonté d’apaisement dans un contexte où les relations familiales sont déjà dégradées.
La référence à la « nature familiale du litige » comme critère de répartition des frais est significative. Elle suggère que le tribunal considère que les deux parties avaient des positions légitimes et que l’intervention judiciaire était rendue nécessaire par l’impossibilité de s’entendre plutôt que par le comportement fautif de l’une d’entre elles.
Cette approche s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle favorable à l’équité dans le contentieux successoral. Le partage judiciaire bénéficie à l’ensemble des indivisaires en permettant la sortie d’une situation de blocage préjudiciable à tous. Il serait paradoxal de faire supporter l’intégralité des frais à une partie alors que la décision profite à l’ensemble des copartageants. La mention selon laquelle les dépens seront « employés en frais privilégiés de partage » confirme cette logique de mutualisation des coûts de la procédure.