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Par une ordonnance du 13 juin 2025, le magistrat délégué par la présidente du tribunal judiciaire de Lille a statué sur la contestation d’une décision de placement en rétention administrative et sur une requête préfectorale en prolongation de cette mesure.
Un ressortissant algérien, titulaire d’un titre de séjour portugais, avait été interpellé pour suspicion de vente à la sauvette de tabac. Placé en garde à vue puis en rétention administrative par arrêté préfectoral du 10 juin 2025, il contestait cette mesure et sollicitait subsidiairement une assignation à résidence. L’intéressé faisait valoir qu’il résidait et travaillait au Portugal, qu’il n’était que de passage en France pour rendre visite à sa mère, et qu’il disposait d’un billet d’avion pour l’Algérie en vue de ses vacances avant de regagner le Portugal.
Le préfet opposait les contradictions relevées lors de l’audition, durant laquelle l’étranger avait déclaré séjourner en France depuis quinze ans tout en évoquant son travail au Portugal. L’administration soulignait également les multiples refus de titre de séjour dont l’intéressé avait fait l’objet en France, ses condamnations pénales entre 2014 et 2019, ainsi que sa soustraction à deux précédentes mesures d’éloignement prononcées en 2020 et 2021.
Le magistrat devait déterminer si le placement en rétention était régulier au regard des garanties de représentation et de la vulnérabilité de l’intéressé, et si la prolongation de la rétention devait être ordonnée plutôt qu’une assignation à résidence.
Le juge des libertés et de la détention déclare recevable la contestation du placement en rétention mais rejette l’ensemble des moyens soulevés. Il déclare également recevable la requête préfectorale et ordonne la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours, rejetant la demande d’assignation à résidence.
Cette décision illustre l’appréciation judiciaire des garanties de représentation en matière de rétention administrative (I) et met en lumière les conditions restrictives de l’assignation à résidence comme alternative à la rétention (II).
I. L’appréciation souveraine des garanties de représentation comme fondement du placement en rétention
Le juge des libertés et de la détention procède à une analyse rigoureuse de la situation personnelle de l’étranger pour caractériser l’absence de garanties de représentation (A), tout en rappelant les limites de l’obligation administrative d’évaluation de la vulnérabilité (B).
A. La caractérisation de l’absence de garanties de représentation par le faisceau d’indices contradictoires
Le magistrat fonde son analyse sur les contradictions relevées dans les déclarations de l’intéressé. Il retient que celui-ci « a déclaré l’adresse de sa mère à [Localité 1], séjourner en France depuis 15 ans, disposer d’un titre de séjour portugais et travailler au Portugal ». Le juge observe que « les éléments présentés par l’intéressé au cours de son audition sont donc contradictoires alors qu’il n’a jamais indiqué être seulement de passage en France mais y séjourner depuis 15 ans tout en évoquant son travail au Portugal ».
Cette analyse révèle la méthode du faisceau d’indices adoptée par le juge pour apprécier la crédibilité des déclarations de l’étranger. Le magistrat convoque plusieurs éléments objectifs : les multiples refus de titre de séjour en France, les condamnations pénales démontrant « une présence sur le territoire français », et surtout la soustraction à deux précédentes mesures d’éloignement en 2020 et 2021. La concordance de ces éléments permet au juge de conclure que « le préfet pouvait légitimement considérer que l’intéressé qui s’est soustrait aux précédentes mesures d’éloignement […] ne présente donc pas de garanties de représentation propres à assurer l’effectivité de la mesure d’éloignement ».
L’ordonnance confirme ainsi que la détention d’un titre de séjour étranger et d’un passeport valide ne suffit pas à établir des garanties de représentation effectives lorsque le comportement passé de l’intéressé démontre une propension à se soustraire aux mesures d’éloignement. Le juge privilégie une approche concrète fondée sur l’examen du parcours administratif et judiciaire de l’étranger.
B. Le cantonnement de l’obligation d’évaluation de la vulnérabilité aux éléments portés à la connaissance de l’administration
Le magistrat rappelle le cadre juridique applicable à l’examen de la vulnérabilité en citant l’article L.741-4 du CESEDA qui dispose que « la décision de placement en rétention prend en compte l’état de vulnérabilité et tout handicap de l’étranger ». Il précise aussitôt la portée limitée de cette obligation depuis la réforme législative de 2018 : « l’évaluation individuelle obligatoire prévue par la loi du 28 mars 2018 ayant été supprimée par la loi subséquente du 10 septembre 2018, les obligations de l’administration au regard de la vulnérabilité se limitent à présent à intégrer les seuls éléments dont elle aurait connaissance ».
Cette précision jurisprudentielle éclaire l’évolution du régime de la vulnérabilité en rétention administrative. Le juge ajoute qu’« il ne saurait être reproché à l’administration de ne pas avoir tenu compte d’éléments produits postérieurement à sa décision ». En l’espèce, l’intéressé avait mentionné une déficience visuelle, élément repris dans la décision préfectorale. Les troubles psychiatriques allégués n’avaient pas été évoqués lors de l’audition et les deux examens médicaux pratiqués en garde à vue n’avaient relevé aucune incompatibilité avec la mesure.
Le magistrat conclut qu’« aucun élément ne permet d’indiquer que ce traitement ne puisse pas être accessible au sein du centre de rétention ». Cette motivation illustre le contrôle pragmatique exercé par le juge sur l’adéquation entre l’état de santé et les conditions de rétention, sans exiger de l’administration une investigation systématique.
II. Le rejet de l’assignation à résidence judiciaire malgré la remise des documents d’identité
L’ordonnance subordonne le bénéfice de l’assignation à résidence à l’existence de garanties de représentation effectives (A), confirmant ainsi la prééminence du critère comportemental sur le critère documentaire (B).
A. L’exigence cumulative de garanties de représentation effectives pour l’assignation à résidence judiciaire
Le juge des libertés et de la détention rappelle les conditions de l’assignation à résidence prévues à l’article L.743-13 du CESEDA : le magistrat « peut ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives ». La loi précise que cette mesure « ne peut être ordonnée par le juge qu’après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité ». Lorsque l’étranger s’est préalablement soustrait à l’exécution d’une mesure d’éloignement, « l’assignation à résidence fait l’objet d’une motivation spéciale ».
En l’espèce, le magistrat constate qu’« il n’est pas contesté que le passeport de M. [R] [U] est à la disposition de l’administration ». La condition documentaire était donc remplie. Le juge refuse néanmoins l’assignation en rappelant « que l’intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives, même au domicile maternel, alors qu’il s’est soustrait notamment à plusieurs mesures d’éloignement ».
Cette motivation révèle l’articulation entre les deux conditions légales. La remise des documents d’identité constitue une condition nécessaire mais non suffisante. Le juge conserve un pouvoir d’appréciation pour évaluer si l’étranger présente des garanties de représentation effectives, cette appréciation pouvant conduire au rejet de l’assignation malgré la satisfaction de la condition documentaire.
B. La consécration du comportement passé comme critère déterminant de l’effectivité des garanties
L’ordonnance illustre la primauté accordée au comportement passé de l’étranger dans l’appréciation des garanties de représentation. Le magistrat retient que la soustraction à deux précédentes mesures d’éloignement suffit à écarter toute garantie de représentation effective, y compris lorsque l’étranger propose une adresse stable au domicile d’un membre de sa famille et dispose de l’ensemble de ses documents d’identité.
Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui privilégie l’examen du parcours administratif de l’étranger. La détention d’un titre de séjour dans un autre État membre de l’Union européenne ne constitue pas davantage une garantie suffisante lorsque l’intéressé s’est précédemment maintenu irrégulièrement sur le territoire français malgré les décisions d’éloignement.
Le juge relève également que les démarches d’éloignement sont en cours puisqu’« une demande de réadmission au Portugal ainsi qu’une demande de routing ont été effectuées le 10 juin 2025 ». Cette diligence administrative justifie le maintien en rétention pour garantir l’effectivité de la mesure d’éloignement. L’ordonnance confirme ainsi que la rétention administrative demeure la mesure de principe lorsque l’étranger a démontré par son comportement passé qu’il ne respecterait pas une assignation à résidence.