Tribunal judiciaire de Lille, le 16 juin 2025, n°25/01320

La rétention administrative des étrangers constitue l’un des instruments majeurs de la politique migratoire française. Elle permet à l’administration de maintenir sous contrainte un étranger en situation irrégulière le temps nécessaire à l’organisation de son éloignement. Le contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention sur cette mesure privative de liberté revêt une importance particulière dans un État de droit.

L’ordonnance rendue par le magistrat délégué du tribunal judiciaire de Lille le 16 juin 2025 s’inscrit dans ce contentieux. Un ressortissant algérien, né le 3 octobre 2006, a fait l’objet d’un placement en rétention administrative par décision préfectorale du 18 mai 2025. Après une première prolongation de vingt-six jours ordonnée le 22 mai 2025, l’autorité administrative a sollicité une nouvelle prorogation de trente jours. Le conseil de l’intéressé soulevait le moyen tiré de la violation de l’article L. 741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, arguant du caractère inutile du maintien en rétention compte tenu du contexte diplomatique entre la France et l’Algérie.

La question posée au magistrat était de savoir si les difficultés relationnelles entre deux États peuvent caractériser une absence de perspective raisonnable d’éloignement rendant la rétention inutile.

Le magistrat délégué rejette ce moyen et ordonne la prorogation de la rétention pour trente jours supplémentaires. Il retient que « l’état des relations diplomatiques avec un état souverain, notion fluctuante et sans fondement juridique valable, ne saurait être retenu comme un critère pour considérer que les diligences effectuées par l’administration sont insusceptibles d’aboutir ».

Cette décision mérite examen tant au regard de l’appréciation des diligences administratives accomplies (I) que de la portée du rejet du critère diplomatique dans le contrôle de la nécessité de la rétention (II).

I. Le contrôle juridictionnel des diligences administratives

A. L’exigence légale de diligences effectives

L’article L. 741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pose un principe essentiel. Le texte dispose qu’« un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». Il ajoute que « l’administration exerce toutes diligences à cet effet ». Cette formulation impose une double condition à la légalité du maintien en rétention. La mesure doit être nécessaire à l’éloignement et l’administration doit justifier d’efforts concrets pour y parvenir.

Le magistrat délégué rappelle cette exigence avec précision. Il énonce que « l’autorité administrative doit donc justifier des diligences qu’elle a accomplies pendant le délai de 28 jours qui lui a été accordé ». Ce rappel n’est pas purement formel. Il constitue le cadre d’analyse dans lequel le juge va examiner les démarches préfectorales. La rétention n’est pas une mesure automatique dont la prolongation serait acquise. Elle suppose un contrôle effectif des efforts déployés par l’administration.

B. La validation d’un faisceau de diligences administratives

En l’espèce, le magistrat constate la réalité des démarches accomplies par la préfecture. La chronologie est précise. Une demande de laissez-passer a été transmise aux autorités algériennes le 19 mai 2025. Une demande d’entretien consulaire a été formulée le 28 mai 2025. Une relance a été effectuée le 12 juin 2025. Parallèlement, une demande « routing » pour l’organisation du vol a été déposée dès le 19 mai 2025. Le magistrat en déduit que « les diligences nécessaires et suffisantes ont été accomplies par l’autorité administrative ».

Cette appréciation appelle deux observations. Le juge se livre à un contrôle formel de l’existence des démarches sans examiner leur chance réelle d’aboutissement. Il précise d’ailleurs qu’« il ne pouvait être exigé qu’elle relance les autorités souveraines d’un pays tiers sur lesquelles elle n’a pas de pouvoir de contrainte ». Cette formule révèle la limite du contrôle exercé. Le juge vérifie que l’administration agit mais n’apprécie pas l’efficacité prévisible de son action.

II. Le rejet du critère diplomatique dans l’appréciation de la nécessité

A. L’exclusion d’une notion jugée « fluctuante et sans fondement juridique »

Le cœur de la motivation réside dans le rejet du moyen fondé sur le contexte diplomatique franco-algérien. Le conseil de l’intéressé faisait valoir que la dégradation des relations entre les deux pays rendait vaine toute perspective d’éloignement. Le magistrat écarte cet argument avec fermeté. Il juge que « l’état des relations diplomatiques avec un état souverain, notion fluctuante et sans fondement juridique valable, ne saurait être retenu comme un critère ».

Cette formulation mérite attention. Le magistrat qualifie le contexte diplomatique de « notion fluctuante ». Il lui dénie tout « fondement juridique valable ». Ces deux qualificatifs traduisent une conception strictement légaliste du contrôle. Le juge refuse d’intégrer dans son appréciation des éléments extrajuridiques, fussent-ils notoires. La situation diplomatique entre la France et l’Algérie, marquée par des tensions publiquement connues, ne constitue pas pour lui un paramètre pertinent.

B. Les implications pratiques et juridiques de cette position

Cette position soulève des interrogations quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel. La Cour européenne des droits de l’homme, dans sa jurisprudence relative à l’article 5 paragraphe 1 de la Convention, exige que la privation de liberté en vue de l’éloignement ne se prolonge pas au-delà d’un délai raisonnable. Elle impose que l’éloignement soit « en cours » avec une perspective réaliste. Le droit de l’Union européenne, à travers la directive 2008/115/CE dite « retour », consacre également cette exigence de perspective raisonnable.

Le refus d’examiner le contexte diplomatique peut aboutir à des situations paradoxales. Un étranger pourrait être maintenu en rétention pendant la durée maximale légale alors même que son éloignement apparaîtrait objectivement improbable. La décision commentée n’ignore pas totalement cette difficulté. Le magistrat précise qu’il n’est pas « nécessaire de caractériser, à ce stade, l’existence d’une menace à l’ordre public ». Cette mention suggère que la question pourrait se poser différemment lors d’une prolongation ultérieure, notamment à l’approche du terme de la durée maximale de rétention. La portée de cette ordonnance doit donc être comprise comme limitée au stade procédural où elle intervient, sans préjuger des appréciations futures.

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Hassan KOHEN
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