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L’ordonnance de référé rendue le 13 juin 2025 par le tribunal judiciaire de Marseille illustre les exigences probatoires pesant sur le demandeur qui sollicite une mesure d’instruction in futurum. Une personne se présentant comme victime d’un accident de la circulation survenu le 15 octobre 2024 avait assigné un assureur et un organisme de sécurité sociale aux fins d’obtenir une expertise médicale et des provisions. Le juge des référés rejette l’ensemble des demandes au motif qu’aucun élément objectif ne permet de démontrer la qualité de passagère transportée de la demanderesse.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Une personne prétend avoir été victime d’un accident de la circulation en qualité de passagère d’un véhicule percuté par un autre. Un certificat médical établi deux jours après l’accident constate des douleurs cervico-dorsales, une contracture musculaire et un choc post-traumatique. La demanderesse assigne l’assureur du véhicule responsable et la caisse primaire d’assurance maladie en référé, sollicitant une expertise médicale, une provision de trois mille euros, une provision ad litem de mille cinq cents euros et des frais irrépétibles.
Les défendeurs, bien que régulièrement assignés, ne comparaissent pas à l’audience du 16 mai 2025. La demanderesse maintient ses prétentions. Elle fonde sa demande d’expertise sur l’article 145 du code de procédure civile et sa demande de provision sur l’article 835 du même code. Elle entend établir l’étendue de son préjudice corporel en vue d’un éventuel procès au fond.
La question posée au juge des référés est celle de savoir si le motif légitime requis par l’article 145 du code de procédure civile peut être caractérisé lorsque le demandeur n’apporte aucune preuve de son implication dans l’accident dont il se prévaut.
Le juge des référés répond par la négative. Il relève qu’aucun élément objectif n’est versé aux débats pour démontrer la qualité de passagère transportée de la demanderesse dans l’accident évoqué. Il rejette en conséquence la demande d’expertise. Il refuse également la provision au titre du préjudice corporel, l’absence de démonstration de cette qualité constituant une contestation sérieuse. La demande de provision ad litem devient sans objet et la demanderesse est condamnée aux dépens.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions de mise en œuvre de l’expertise in futurum (I) que de ses conséquences sur les demandes accessoires de provision (II).
I. Le rejet de l’expertise faute de preuve de l’implication dans l’accident
Le juge des référés subordonne l’octroi d’une mesure d’instruction à la démonstration d’un lien avec le fait générateur allégué (A). Cette exigence probatoire se distingue de l’appréciation du bien-fondé de l’action au fond (B).
A. L’exigence d’un élément objectif établissant la qualité de victime
L’article 145 du code de procédure civile permet d’ordonner des mesures d’instruction avant tout procès lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le juge rappelle les conditions d’application de ce texte : l’absence d’instance au fond s’apprécie à la date de la saisine, l’existence de contestations ne constitue pas un obstacle et il suffit qu’un procès soit possible avec un objet et un fondement suffisamment déterminés.
La décision précise néanmoins que le juge doit vérifier que « la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée ». Cette formulation implique un contrôle minimal de la vraisemblance de la prétention. En l’espèce, le juge constate qu’« aucun élément objectif n’est versé aux débats qui permettrait de démontrer la qualité de passagère transportée ». Le certificat médical produit atteste de lésions mais ne suffit pas à établir les circonstances de leur survenance. L’absence de procès-verbal d’accident, de témoignage ou de tout document mentionnant la présence de la demanderesse dans le véhicule au moment des faits prive sa demande de fondement.
Cette exigence probatoire n’est pas excessive. Le régime favorable d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation issu de la loi du 5 juillet 1985 repose sur l’implication d’un véhicule terrestre à moteur. Encore faut-il que le demandeur établisse sa présence lors de l’accident pour prétendre au bénéfice de ce régime. Le juge des référés ne peut ordonner une expertise destinée à évaluer un préjudice corporel si le lien entre ce préjudice et l’accident n’est aucunement documenté.
B. La distinction entre contrôle du motif légitime et appréciation du fond
Le juge des référés prend soin de rappeler qu’il n’a pas à examiner la recevabilité d’une éventuelle action ni ses chances de succès sur le fond. Il se limite à vérifier l’existence d’un motif légitime. Cette affirmation pourrait sembler contradictoire avec le rejet fondé sur l’absence de preuve de la qualité de victime. La nuance réside dans le degré d’exigence probatoire.
Le contrôle du motif légitime suppose que le demandeur établisse un minimum de vraisemblance quant à son intérêt à agir. Il ne s’agit pas de préjuger du bien-fondé de sa demande indemnitaire future mais de vérifier qu’un procès n’est pas purement hypothétique. Lorsqu’aucun élément ne relie le demandeur à l’accident invoqué, le procès envisagé devient virtuel. L’expertise sollicitée ne pourrait servir qu’à pallier une carence probatoire qui incombe au demandeur lui-même.
La Cour de cassation admet que le juge des référés contrôle l’existence d’un fondement suffisamment déterminé au procès envisagé. Ce contrôle n’équivaut pas à un examen au fond mais constitue un filtre contre les demandes dépourvues de toute consistance. En l’espèce, le juge se situe exactement dans ce cadre en relevant l’absence totale d’élément objectif rattachant la demanderesse à l’accident.
II. Les conséquences du rejet de l’expertise sur les demandes de provision
L’absence de preuve de l’implication dans l’accident caractérise une contestation sérieuse faisant obstacle à l’octroi d’une provision (A). Le rejet en cascade des demandes accessoires illustre l’interdépendance des prétentions en référé (B).
A. La contestation sérieuse résultant du défaut de preuve de la qualité de victime
L’article 835 du code de procédure civile permet au juge des référés d’accorder une provision lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge constate que « l’absence de démonstration de la qualité de passagère transportée constitue une contestation sérieuse qui justifie le rejet de la provision ». Cette formulation retient l’attention. La contestation sérieuse émane habituellement du défendeur. En l’espèce, l’assureur n’a pas comparu et n’a donc soulevé aucun moyen de défense.
Le juge fait usage de son pouvoir d’appréciation pour relever d’office l’existence d’une contestation sérieuse. Cette démarche se justifie par le caractère d’ordre public des conditions d’octroi d’une provision en référé. Le juge ne peut accorder une somme à titre provisionnel que si la créance présente un caractère d’évidence. Or l’évidence fait défaut lorsque le fait générateur de la responsabilité n’est pas établi dans son principe même.
La solution retenue préserve les droits de l’assureur absent. Le défaut de comparution ne vaut pas acquiescement aux prétentions adverses. Le juge conserve l’obligation de vérifier le bien-fondé apparent des demandes. En l’absence de tout élément reliant la demanderesse à l’accident, il ne pouvait condamner l’assureur à verser une provision sans méconnaître les exigences de l’article 835.
B. L’effet en cascade sur la provision ad litem et les frais du procès
Le juge déclare la demande de provision ad litem sans objet dès lors que l’expertise est refusée. Cette provision, destinée à financer les frais d’expertise, n’a plus lieu d’être en l’absence de mesure d’instruction ordonnée. Le raisonnement est logique. La provision ad litem présente un caractère accessoire par rapport à la mesure principale qu’elle a vocation à financer.
La condamnation de la demanderesse aux dépens découle de sa qualité de partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile. Le juge refuse en revanche toute condamnation au titre de l’article 700. Cette décision peut s’expliquer par l’absence des défendeurs à l’audience. Aucune demande n’a été formée à ce titre par l’assureur ou l’organisme social. Le juge ne pouvait accorder d’office une somme que nul ne réclamait.
Cette décision comporte un enseignement pratique. Le demandeur à une action en référé expertise doit anticiper les exigences probatoires minimales. La production d’un certificat médical ne suffit pas à établir l’implication dans un accident de la circulation. Un procès-verbal de police, une déclaration de sinistre, un témoignage ou tout autre document établissant la présence sur les lieux constituent des pièces indispensables. Leur absence expose le demandeur à un rejet de ses prétentions et à une condamnation aux dépens. La solution retenue par le tribunal judiciaire de Marseille rappelle que le caractère non contradictoire d’une procédure ne dispense pas le demandeur de ses obligations probatoires élémentaires.