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Le contentieux de la compétence territoriale demeure une question procédurale récurrente devant les juridictions civiles, tout particulièrement lorsque le défendeur fait défaut. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Marseille le 17 juin 2025 en offre une illustration significative, à travers un litige opposant un contrôleur technique à son prétendu cocontractant.
Une société spécialisée dans le contrôle technique de construction a assigné un particulier devant le pôle de proximité de Marseille en paiement de factures impayées d’un montant de 3 899,97 euros, outre des frais de recouvrement et une indemnité au titre des frais irrépétibles. Cette créance résultait d’une mission de contrôle technique prétendument confiée par le défendeur. Cité à personne, ce dernier n’a jamais comparu ni constitué avocat.
La procédure a connu plusieurs vicissitudes. Après une audience de plaidoirie le 26 mai 2023, le tribunal a ordonné une réouverture des débats pour inviter la demanderesse à préciser l’identité et la qualité de son cocontractant. L’affaire a ensuite été radiée le 17 novembre 2023 en raison de l’absence des parties, puis réinscrite à la demande de la société créancière en avril 2024. Lors de l’audience du 18 mars 2025, seule la demanderesse était représentée par son conseil.
À cette occasion, le juge a soulevé d’office son incompétence territoriale, constatant l’absence de précision quant au lieu d’exécution des travaux et relevant que le défendeur était domicilié à Gémenos. La demanderesse s’en est rapportée à justice.
La question de droit soumise au tribunal était la suivante : le juge des contentieux de la protection de Marseille est-il territorialement compétent pour connaître d’un litige contractuel lorsque le lieu d’exécution de la prestation n’est pas établi et que le défendeur non comparant est domicilié dans le ressort d’une autre juridiction ?
Le tribunal s’est déclaré incompétent et a renvoyé la cause et les parties devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Aubagne, réservant le surplus des demandes.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions du relevé d’office de l’incompétence territoriale (I) que des conséquences procédurales de ce renvoi pour les parties (II).
I. Les conditions du relevé d’office de l’incompétence territoriale
Le prononcé de l’incompétence suppose la réunion de conditions tenant à la faculté même pour le juge de soulever ce moyen (A) et à l’application des règles de compétence territoriale de droit commun (B).
A. La faculté exceptionnelle de relever d’office l’incompétence territoriale
Le principe posé par le code de procédure civile réside dans l’interdiction faite au juge de relever d’office son incompétence territoriale. L’article 77 du code de procédure civile n’autorise cette initiative que dans trois hypothèses limitativement énumérées : les litiges relatifs à l’état des personnes, les cas de compétence exclusive attribuée par la loi à une autre juridiction, et l’absence de comparution du défendeur.
Le tribunal de Marseille fonde expressément sa décision sur cette troisième exception. Il relève que « le juge ne peut relever d’office son incompétence territoriale, en matière contentieuse, que dans les litiges relatifs à l’état des personnes, dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction ou si le défendeur ne comparaît pas ». La non-comparution du défendeur, cité à personne mais absent tout au long de la procédure, autorisait donc le juge à examiner d’office la question de sa compétence territoriale.
Cette faculté se justifie par la nécessité de protéger le défendeur défaillant contre une saisine délibérément effectuée devant une juridiction incompétente. Le demandeur pourrait être tenté d’assigner son adversaire devant un tribunal éloigné de son domicile, rendant sa comparution plus difficile. Le relevé d’office de l’incompétence constitue ainsi un garde-fou procédural.
La jurisprudence de la Cour de cassation veille au respect de ces conditions. Elle censure les décisions par lesquelles un juge se déclare d’office incompétent alors que le défendeur a comparu, fût-ce pour contester au fond. En l’espèce, le défendeur n’ayant jamais comparu ni été représenté, la condition posée par l’article 77 était remplie.
B. L’application des règles de compétence territoriale de droit commun
Le tribunal applique ensuite les règles de compétence territoriale issues des articles 42, 43 et 46 du code de procédure civile. Le principe énoncé par l’article 42 attribue compétence à la juridiction du lieu où demeure le défendeur. L’article 43 précise que ce lieu s’entend, pour une personne physique, du lieu de son domicile ou à défaut de sa résidence.
L’article 46 offre toutefois au demandeur une option de compétence en matière contractuelle. Il peut saisir soit la juridiction du domicile du défendeur, soit celle du lieu de livraison effective de la chose ou d’exécution de la prestation de service. Cette option vise à faciliter l’administration de la preuve et à rapprocher le contentieux du lieu où le contrat s’est matériellement exécuté.
Le tribunal constate que « le lieu d’exécution de la prestation n’est pas connu » et que le défendeur « est domicilié sur [Gémenos] ». Cette commune relève du ressort du tribunal judiciaire d’Aubagne. Dès lors, aucun des critères de compétence ne rattache le litige au tribunal de Marseille.
La demanderesse n’a pas été en mesure de justifier le lieu d’exécution de sa mission de contrôle technique. Cette carence probatoire est d’autant plus remarquable que le tribunal avait déjà, lors de la réouverture des débats en juillet 2023, invité la société à préciser l’identité et la qualité de son cocontractant. La persistance de ces lacunes a conduit le juge à appliquer le seul critère de compétence établi, celui du domicile du défendeur.
II. Les conséquences procédurales du renvoi pour incompétence
Le prononcé de l’incompétence emporte des effets sur la désignation de la juridiction compétente (A) et sur le sort des demandes des parties (B).
A. La désignation de la juridiction de renvoi
Le tribunal ne se borne pas à se déclarer incompétent. Il désigne la juridiction qu’il estime compétente et ordonne le renvoi de la cause et des parties devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Aubagne. Cette désignation s’impose en application de l’article 81 du code de procédure civile qui prévoit que lorsque le juge se déclare incompétent, il désigne la juridiction qu’il estime compétente.
Le choix du juge des contentieux de la protection plutôt que du tribunal judiciaire statuant en formation de droit commun s’explique par la nature du litige et le montant des demandes. Le contentieux portait sur une créance de 3 899,97 euros en principal, somme inférieure au seuil de compétence du juge des contentieux de la protection en matière de créances civiles.
Le jugement précise que « le dossier sera directement transmis à la juridiction désignée par les soins du greffier » à l’issue du délai d’appel. Cette transmission administrative évite aux parties d’avoir à réintroduire l’instance devant la nouvelle juridiction. L’article 82 du code de procédure civile organise en effet la continuité de la procédure en cas de renvoi pour incompétence.
Cette solution présente l’avantage de préserver les effets de la demande initiale, notamment l’interruption de la prescription. Elle impose toutefois au demandeur de poursuivre son action devant une juridiction qu’il n’avait pas choisie, avec les contraintes pratiques que cela peut engendrer.
B. La réserve du surplus des demandes
Le dispositif du jugement « réserve le surplus des demandes ». Cette formule signifie que le tribunal de Marseille n’a pas statué sur le fond du litige ni sur les demandes accessoires formées par la société demanderesse au titre des frais de recouvrement, de l’article 700 et des dépens.
Il appartiendra au tribunal d’Aubagne de statuer sur l’ensemble de ces prétentions. Cette réserve est conforme à la logique du renvoi pour incompétence : le juge qui se dessaisit n’a pas vocation à trancher le litige au fond. Seule la juridiction compétente pourra apprécier le bien-fondé de la créance alléguée et des demandes annexes.
Cette décision illustre les risques liés à une insuffisante préparation du dossier par le demandeur. La société créancière n’a pas su établir le lieu d’exécution de sa prestation, élément qui lui aurait permis de fonder la compétence du tribunal de Marseille sur l’article 46 du code de procédure civile. Cette carence probatoire, déjà signalée par le tribunal lors de la réouverture des débats en 2023, n’a pas été comblée.
Le renvoi devant le tribunal d’Aubagne retarde d’autant le règlement du litige. Près de deux ans et demi après l’assignation initiale, le fond de l’affaire n’a toujours pas été examiné. Ce délai supplémentaire pèse tant sur le créancier, privé du recouvrement de sa créance, que sur le débiteur qui voit l’incertitude contentieuse se prolonger.