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Par une ordonnance de référé du 20 juin 2025, le tribunal judiciaire de Marseille s’est prononcé sur une demande d’expertise judiciaire présentée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Un propriétaire ayant fait réaliser des travaux d’extension de son bien immobilier, et notamment des travaux d’étanchéité de toiture-terrasse, avait constaté des infiltrations postérieurement à la réception sans réserve intervenue le 9 janvier 2015. Un rapport d’expertise amiable établi le 15 décembre 2023 faisait état de désordres affectant l’ouvrage.
Le maître de l’ouvrage a assigné les assureurs du maître d’œuvre et de l’entreprise d’étanchéité aux fins d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire. Les deux assureurs ont sollicité leur mise hors de cause en invoquant respectivement la prescription de l’action et l’absence de garantie au regard de la date de prise d’effet de la police. Ces moyens tendaient à démontrer que toute action au fond serait vouée à l’échec.
La question posée au juge des référés était de déterminer si l’existence de contestations relatives à la prescription ou à la garantie d’assurance constituait un obstacle à l’octroi d’une mesure d’instruction in futurum. Le magistrat devait préciser l’étendue de son office lorsqu’il statue sur une demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile.
Le juge des référés a rejeté les demandes de mise hors de cause et ordonné l’expertise sollicitée. Il a considéré que « l’existence de contestations, même sérieuses, y compris relatives à la prescription ou la forclusion de l’action au fond, ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre des dispositions » de l’article 145. Le magistrat a précisé qu’il lui appartient uniquement de caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction « sans qu’il soit nécessaire de procéder préalablement à l’examen de la recevabilité d’une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès sur le fond ».
Cette décision illustre la conception extensive du motif légitime en matière d’expertise in futurum (I) tout en révélant les limites de l’office du juge des référés face aux contestations de fond (II).
I. L’appréciation libérale du motif légitime en matière d’expertise préventive
Le juge des référés marseillais adopte une conception souple du motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile (A), conception qui neutralise l’effet des exceptions de prescription invoquées par les défendeurs (B).
A. La caractérisation minimale du motif légitime
Le tribunal rappelle les critères classiques du motif légitime en reproduisant fidèlement la jurisprudence de la Cour de cassation. Le motif légitime doit être constitué par « un ou plusieurs faits précis, objectifs et vérifiables qui démontrent l’existence d’un litige plausible, crédible, bien qu’éventuel et futur dont le contenu et le fondement seraient cernés, approximativement au moins ». Cette formule reprend les attendus de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 10 décembre 2020.
En l’espèce, le demandeur produisait un rapport d’expertise amiable établissant la réalité de désordres affectant la toiture-terrasse. Le juge considère que cette pièce « justifie qu’un technicien judiciaire détermine la réalité et l’origine des désordres ». L’exigence probatoire apparaît modeste puisque le simple constat amiable de désordres suffit à caractériser le motif légitime.
Cette approche correspond à la fonction même de l’expertise in futurum qui vise à permettre au justiciable de réunir des preuves avant l’engagement d’un procès. Le litige futur n’a pas besoin d’être certain, il suffit qu’il soit plausible. La production d’un rapport amiable attestant de l’existence de désordres dans un contexte de construction récente satisfait cette condition minimale.
B. L’indifférence aux moyens tirés de la prescription
La position du juge des référés sur la prescription mérite une attention particulière. Les assureurs défendeurs invoquaient la prescription de l’action au fond pour solliciter leur mise hors de cause. La Mutuelle des Architectes Français soutenait que l’action était prescrite tant au regard du délai décennal que du délai de droit commun.
Le tribunal écarte ces moyens en énonçant que « l’existence de contestations, même sérieuses, y compris relatives à la prescription ou la forclusion de l’action au fond, ne constitue pas un obstacle » à la mesure d’instruction. Cette formule reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le juge des référés n’a pas à préjuger de la recevabilité de l’action au fond.
Le magistrat ajoute une nuance importante en précisant que l’action au fond envisagée ne doit pas apparaître comme étant « manifestement compromise », citant un arrêt de la chambre commerciale du 18 janvier 2023. Cette réserve pourrait théoriquement permettre au juge de rejeter une demande d’expertise lorsque la prescription est acquise de manière évidente. En l’espèce, l’incertitude sur la date de réception justifiait précisément la mesure d’expertise.
II. Les limites de l’office du juge des référés en matière probatoire
L’ordonnance révèle la fonction préparatoire de l’expertise in futurum (A) tout en laissant ouvertes les questions relatives à la garantie des assureurs (B).
A. La fonction d’élucidation de l’expertise judiciaire
Le juge des référés refuse de se prononcer sur la date de réception des travaux au motif que « les éléments produits sont insuffisants pour la déterminer avec certitude ». Cette incertitude factuelle légitime précisément le recours à l’expertise puisque cette mesure « est destinée à éclairer les juridictions du fond sur ces éléments ».
Cette motivation traduit la conception instrumentale de l’expertise in futurum. La mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 constitue un outil de préconstitution de preuve au service du procès futur. Le juge des référés n’a pas à trancher les questions de fait qui conditionneront la solution du litige au fond. Son office se limite à vérifier l’existence d’un motif légitime et l’utilité de la mesure sollicitée.
La mission d’expertise inclut d’ailleurs expressément la recherche de « tous éléments d’appréciation permettant, le cas échéant, au juge du fond de déterminer la date de réception ». Cette précision méthodologique démontre que les contestations relatives à la prescription n’ont pas été ignorées mais simplement renvoyées au stade de l’expertise et du procès au fond.
B. Le renvoi au fond des questions relatives à la garantie
Concernant l’assureur de l’entreprise d’étanchéité, le tribunal relève que « le marché de travaux a été confié à la société CEB le 3 juillet 2014, date à laquelle elle était assurée » auprès de cet assureur. La demande de mise hors de cause est qualifiée de « prématurée en l’état ».
Cette formulation suggère que la question de la garantie d’assurance pourra être réexaminée ultérieurement, notamment au vu des conclusions de l’expertise. La date du marché de travaux constitue un indice de la prise en charge par l’assureur mais ne préjuge pas définitivement de sa garantie. D’autres éléments comme la nature des désordres, leur date d’apparition ou les conditions générales de la police pourront modifier l’analyse.
La solution retenue présente l’avantage de la prudence. Le juge des référés évite de trancher des questions complexes de droit des assurances qui excèdent son office. La mise hors de cause définitive d’un assureur au stade du référé risquerait de priver le demandeur d’un contradicteur utile lors des opérations d’expertise. Les assureurs pourront faire valoir leurs moyens de défense devant le juge du fond après avoir participé aux opérations expertales.