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Le droit de la responsabilité civile en matière d’accidents de la circulation repose sur un équilibre entre protection des victimes et prévisibilité des obligations pesant sur les assureurs. La loi du 5 juillet 1985 a instauré un régime d’indemnisation favorable aux victimes, dont l’articulation avec les mécanismes processuels du référé soulève des questions pratiques significatives.
Par ordonnance du 20 juin 2025, le tribunal judiciaire de Marseille, statuant en référé, s’est prononcé sur les demandes formées par la représentante légale de deux enfants mineures victimes d’un accident de la circulation survenu le 26 novembre 2024. Les deux victimes, passagères transportées d’un véhicule assuré auprès d’une société d’assurance, avaient été blessées lors de cet accident.
La représentante légale des mineures a assigné l’assureur et la caisse primaire d’assurance-maladie devant le juge des référés. Elle sollicitait l’organisation d’une expertise médicale pour chacune des victimes ainsi que l’allocation de provisions de 6 000 euros et 8 000 euros respectivement. L’assureur, tout en formant des réserves d’usage sur les demandes d’expertise, demandait la limitation des provisions à 2 000 euros et 2 500 euros. Il invoquait le caractère prématuré de la saisine judiciaire, reprochant à la demanderesse de ne pas lui avoir laissé le temps de mettre en œuvre la procédure d’indemnisation amiable prévue par la loi du 5 juillet 1985.
La question posée au juge des référés était double. Il convenait de déterminer si la saisine du juge des référés quelques mois après un accident de la circulation peut être considérée comme légitime nonobstant l’existence d’une procédure d’indemnisation amiable légale. Il s’agissait également de définir les critères de fixation du quantum des provisions allouées aux victimes.
Le tribunal ordonne l’expertise sollicitée et alloue des provisions aux victimes. Le magistrat retient que « la réalité des blessures respectivement subies par les victimes est établie par les certificats médicaux produits aux débats » et que « leur droit à réparation n’est en conséquence pas contestable, ni contesté ». Il relève que « la société d’assurance, informée du sinistre, ne justifie par aucune pièce de la mise en œuvre d’une procédure d’indemnisation amiable du préjudice des victimes ». Les provisions sont fixées à 2 000 euros pour l’une des victimes et 2 500 euros pour l’autre, conformément aux propositions de l’assureur.
Cette décision illustre l’articulation entre le droit au juge et les mécanismes d’indemnisation amiable (I), tout en précisant les contours du pouvoir d’appréciation du juge des référés en matière de provision (II).
I. L’accès au juge des référés nonobstant l’existence d’une procédure amiable légale
L’ordonnance consacre le droit des victimes de saisir directement le juge sans épuiser préalablement la voie amiable (A), tout en sanctionnant implicitement l’inertie de l’assureur (B).
A. L’absence d’obligation d’épuisement préalable de la voie amiable
Le régime instauré par la loi du 5 juillet 1985 organise une procédure d’offre obligatoire à la charge de l’assureur du véhicule impliqué. L’article 12 de cette loi impose à l’assureur de présenter une offre d’indemnité dans un délai de huit mois à compter de l’accident. Cette procédure vise à favoriser le règlement amiable des litiges et à accélérer l’indemnisation des victimes.
L’assureur soutenait que la saisine du juge des référés moins de trois mois après l’accident ne lui avait pas laissé le temps de mettre en œuvre cette procédure. Cette argumentation reposait sur une lecture erronée de l’articulation entre la voie amiable et la voie judiciaire. Le tribunal rejette implicitement cette fin de non-recevoir en ordonnant les mesures sollicitées.
Le juge des référés fonde sa compétence sur les articles 145 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile. L’article 145 permet d’ordonner des mesures d’instruction avant tout procès lorsqu’existe un motif légitime. L’article 835 alinéa 2 autorise l’allocation d’une provision lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Ces fondements processuels sont autonomes par rapport au régime substantiel de la loi de 1985.
La jurisprudence de la Cour de cassation confirme cette analyse. Le mécanisme d’offre obligatoire ne constitue pas un préalable obligatoire à la saisine du juge. La loi de 1985 sanctionne le défaut d’offre ou l’offre tardive par un doublement des intérêts légaux, non par une irrecevabilité de l’action judiciaire. Le droit d’accès au juge des victimes demeure entier.
B. La sanction de l’inertie de l’assureur
Le tribunal relève expressément que « la société d’assurance, informée du sinistre, ne justifie par aucune pièce de la mise en œuvre d’une procédure d’indemnisation amiable du préjudice des victimes ». Cette constatation prive de tout fondement l’argument tiré du caractère prématuré de l’action.
L’assureur ne pouvait reprocher à la victime de ne pas lui avoir laissé le temps d’agir alors qu’il n’établissait aucune diligence de sa part. La bonne foi contractuelle et la loyauté procédurale imposaient à l’assureur, dès la déclaration du sinistre, d’engager les démarches prévues par la loi. Son inertie rendait légitime le recours au juge.
Cette carence justifie également la condamnation de l’assureur aux frais irrépétibles. Le magistrat retient qu’« il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [B] [V] les frais qu’elle a dû engager à l’occasion de la présente instance ». L’indemnité de 1 000 euros allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile sanctionne ainsi indirectement le comportement de l’assureur.
La solution retenue s’inscrit dans une logique de protection effective des victimes. Le législateur de 1985 entendait accélérer leur indemnisation, non créer un obstacle supplémentaire à l’accès au juge. L’interprétation contraire aurait conduit à un résultat paradoxal où la procédure amiable, conçue pour protéger les victimes, se serait retournée contre elles.
II. L’office du juge des référés dans la fixation des provisions
Le pouvoir discrétionnaire du juge des référés s’exerce dans les limites du non-sérieusement contestable (A), la décision illustrant une appréciation pragmatique du quantum (B).
A. Les limites du pouvoir d’appréciation du juge des référés
L’ordonnance rappelle les principes gouvernant l’allocation de provisions en référé. Le juge énonce que « le montant de la provision allouée en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée » et qu’il « fixe discrétionnairement à l’intérieur de cette limite la somme qu’il convient d’allouer au requérant ».
Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le juge des référés dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier le montant de la provision dans les limites du non-sérieusement contestable. Ce pouvoir n’est pas arbitraire mais encadré par l’exigence de motivation au regard des éléments produits.
En l’espèce, le droit à indemnisation des victimes n’était « pas contestable, ni contesté ». La qualité de passagères transportées leur confère le bénéfice du régime protecteur de la loi de 1985. Seul le quantum de la provision faisait débat entre les parties.
Le tribunal fonde son appréciation sur « les justificatifs médicaux produits ». Les certificats médicaux établissent la réalité des blessures et permettent une première évaluation des préjudices. L’expertise ordonnée aura précisément pour objet de quantifier définitivement ces préjudices selon la nomenclature établie.
B. Une évaluation pragmatique du quantum provisionnel
Le juge des référés retient les montants proposés par l’assureur : 2 000 euros pour l’une des victimes et 2 500 euros pour l’autre. La demanderesse sollicitait respectivement 6 000 euros et 8 000 euros. L’écart entre les demandes initiales et les sommes allouées est significatif.
Cette modération s’explique par la nature même de la provision. Elle constitue une avance sur l’indemnisation définitive, non un règlement anticipé de l’intégralité du préjudice. Le juge des référés doit éviter de préjuger le fond tout en assurant aux victimes les moyens de faire face aux conséquences immédiates de l’accident.
L’ordonnance d’expertise détaille avec précision les postes de préjudice à évaluer. La mission confiée à l’expert reprend l’ensemble des chefs de préjudice de la nomenclature Dintilhac. Cette exhaustivité garantit que l’indemnisation définitive couvrira l’intégralité des dommages subis.
La différenciation entre les deux provisions allouées reflète vraisemblablement une différence dans la gravité des blessures constatées. Le tribunal dispose d’une marge d’appréciation pour adapter le montant provisionnel à la situation de chaque victime. Cette individualisation correspond à l’exigence de réparation intégrale du préjudice.
La décision rendue par le tribunal judiciaire de Marseille s’inscrit dans une jurisprudence protectrice des victimes d’accidents de la circulation. Elle confirme que le mécanisme d’indemnisation amiable institué par la loi de 1985 ne saurait constituer un obstacle à l’accès au juge. L’allocation de provisions, même inférieures aux demandes, garantit aux victimes les moyens de faire face aux conséquences de l’accident dans l’attente de leur indemnisation définitive. La mesure d’expertise ordonnée permettra d’établir avec précision l’étendue des préjudices subis par les deux enfants victimes.