Tribunal judiciaire de Nancy, le 19 juin 2025, n°18/00090

Par une ordonnance en date du 19 juin 2025, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nancy a statué sur une demande de reprise des poursuites de saisie immobilière formée par un établissement bancaire à l’encontre d’un débiteur bénéficiant d’un plan conventionnel de redressement.

Les faits de l’espèce remontent au 30 avril 2013, date à laquelle un prêt immobilier d’un montant de 70 000 euros a été consenti à un emprunteur, garanti par un privilège de prêteur de deniers et une hypothèque conventionnelle. La déchéance du terme est intervenue le 23 octobre 2017, conduisant le créancier à délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière le 5 juin 2018, publié au service de la publicité foncière le 26 juillet suivant.

Parallèlement à cette procédure d’exécution forcée, le débiteur a sollicité le bénéfice d’une procédure de traitement du surendettement. Par décision du 28 août 2019, la commission de surendettement des particuliers de Meurthe-et-Moselle a déclaré sa demande recevable, ce qui a conduit le juge de l’exécution à prononcer une première suspension des poursuites le 13 février 2020. Un plan conventionnel de redressement a été adopté à effet du 29 février 2020 pour une durée de 248 mois. Une seconde suspension a été ordonnée le 22 juin 2023. Le créancier a demandé la reprise des poursuites par conclusions du 22 avril 2025.

Le créancier poursuivant sollicitait la reprise de la procédure de saisie immobilière, estimant que les conditions d’une telle reprise étaient réunies. Le débiteur saisi entendait pour sa part se prévaloir du maintien de la protection issue du plan conventionnel de redressement toujours en cours d’exécution.

La question posée au juge de l’exécution était donc celle de savoir si l’existence d’un plan conventionnel de redressement adopté dans le cadre d’une procédure de surendettement fait obstacle à la reprise des poursuites de saisie immobilière pendant toute la durée de son exécution.

Le juge de l’exécution a répondu par l’affirmative en ordonnant la suspension de la procédure de saisie immobilière pour une durée maximale de deux années, rappelant que « l’existence de ce plan conventionnel de redressement interdit la reprise des poursuites de saisie immobilière jusqu’à son expiration, sauf non respect dudit plan par le débiteur ».

Cette décision appelle un commentaire relatif à la portée protectrice du plan conventionnel de redressement à l’égard des procédures d’exécution forcée (I), ainsi qu’aux limites temporelles de cette protection dans le cadre de la saisie immobilière (II).

I. La protection du débiteur surendetté face aux poursuites immobilières

L’ordonnance commentée met en lumière le mécanisme de suspension des voies d’exécution attaché à la procédure de surendettement (A), tout en précisant les conditions de son maintien pendant l’exécution du plan conventionnel (B).

A. Le principe de suspension des procédures d’exécution

Le juge de l’exécution fonde sa décision sur les articles L. 722-2 et L. 722-3 du code de la consommation, dont il reprend les termes. L’article L. 722-2 dispose que « la recevabilité de la demande emporte suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur ». Cette disposition traduit la volonté du législateur de protéger le débiteur surendetté dès l’ouverture de la procédure.

L’ordonnance rappelle utilement que cette protection s’étend au-delà de la simple déclaration de recevabilité. L’article L. 722-3 précise en effet que les procédures demeurent suspendues « jusqu’à l’approbation du plan conventionnel de redressement prévu à l’article L. 732-1 ». Le juge en déduit logiquement que l’adoption d’un tel plan ne met pas fin à la protection du débiteur mais la prolonge pendant toute la durée de son exécution.

Cette interprétation s’inscrit dans la finalité même du dispositif de traitement du surendettement, qui vise à permettre au débiteur de faire face à ses obligations dans des conditions compatibles avec ses ressources. Autoriser la reprise des poursuites immobilières pendant l’exécution du plan reviendrait à priver celui-ci de son effet utile.

B. Le maintien de la protection pendant l’exécution du plan

La motivation du juge de l’exécution est particulièrement claire sur ce point. Il relève que « ce plan de redressement se trouve toujours en cours » et en tire la conséquence que « l’existence de ce plan conventionnel de redressement interdit la reprise des poursuites de saisie immobilière jusqu’à son expiration ».

Cette solution mérite approbation. Le plan conventionnel de redressement constitue un accord entre le débiteur et ses créanciers, homologué par la commission de surendettement. Il définit les modalités d’apurement du passif sur une durée déterminée. En l’espèce, cette durée est fixée à 248 mois, soit plus de vingt années. Pendant ce délai, le débiteur s’engage à respecter les échéances prévues par le plan.

Le juge introduit toutefois une réserve importante en précisant que cette interdiction vaut « sauf non respect dudit plan par le débiteur ». Cette formule rappelle que la protection n’est pas absolue. Le créancier conserve la faculté de solliciter la reprise des poursuites s’il démontre que le débiteur a manqué à ses obligations. Cette articulation entre protection et responsabilisation du débiteur reflète l’équilibre recherché par le législateur.

II. L’encadrement temporel de la suspension des poursuites

L’ordonnance commentée illustre les difficultés pratiques résultant du plafonnement légal de la durée de suspension (A) et met en évidence les mécanismes de sauvegarde de la créance du poursuivant (B).

A. La limite légale de deux années de suspension

L’article L. 722-3 du code de la consommation dispose que la suspension « ne peut excéder deux ans ». Le juge de l’exécution applique strictement cette règle en ordonnant la suspension « pour une durée maximum de deux années ». Cette limitation appelle plusieurs observations.

La durée du plan conventionnel adopté en l’espèce est de 248 mois, soit environ vingt ans et huit mois. Or la suspension ne peut excéder deux années. Il en résulte une discordance manifeste entre la durée de la protection effective et celle du plan. Le créancier sera donc fondé à solliciter à nouveau la reprise des poursuites à l’expiration du délai de deux ans, ce qui conduira le juge à ordonner une nouvelle suspension si le plan est toujours en cours d’exécution.

Cette situation, qui caractérise l’espèce commentée, n’est pas nouvelle. L’historique procédural révèle que le juge de l’exécution a déjà prononcé deux suspensions successives, le 13 février 2020 et le 22 juin 2023. L’ordonnance du 19 juin 2025 constitue donc la troisième suspension de la procédure. Ce mécanisme de suspensions successives peut paraître lourd mais il présente l’avantage de permettre un contrôle périodique du respect du plan par le débiteur.

B. La préservation des droits du créancier poursuivant

Le juge de l’exécution prend soin de rappeler les dispositions protectrices des intérêts du créancier. Il mentionne ainsi que « le délai de péremption du commandement de saisie immobilière prévu par l’article R. 321-20 du code des procédures civiles d’exécution se trouve suspendu » pendant la durée de la suspension des poursuites.

Cette précision revêt une importance pratique considérable. L’article R. 321-20 dispose que le commandement de payer valant saisie immobilière cesse de produire effet si, dans les deux ans de sa publication, il n’a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi. La suspension de ce délai évite que le commandement ne devienne caduc du seul fait de la durée de la procédure de surendettement.

L’ordonnance rappelle par ailleurs les interdictions pesant sur le débiteur en application de l’article L. 722-5 du code de la consommation. Il lui est notamment interdit « de faire tout acte qui aggraverait son insolvabilité » ou « de faire un acte de disposition étranger à la gestion normale du patrimoine ». Ces mesures conservatoires garantissent que le bien immobilier demeurera disponible pour une éventuelle réalisation si le plan venait à être résolu pour inexécution.

L’ordonnance du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nancy du 19 juin 2025 constitue ainsi une application rigoureuse du régime de protection du débiteur surendetté. Elle confirme que l’existence d’un plan conventionnel de redressement en cours d’exécution fait obstacle à la reprise des poursuites de saisie immobilière, tout en organisant un encadrement temporel et des garanties au profit du créancier.

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Hassan KOHEN
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