Tribunal judiciaire de Nantes, le 17 juin 2025, n°22/04587

Le contentieux de la construction, particulièrement celui relatif aux malfaçons affectant les ouvrages réalisés par des professionnels du bâtiment, constitue un terreau fertile pour l’articulation des différents régimes de responsabilité civile. La question de la réception des travaux, acte juridique fondamental en la matière, détermine le régime applicable et conditionne la mobilisation des garanties légales.

Le Tribunal judiciaire de Nantes, dans un jugement du 17 juin 2025, apporte un éclairage sur les conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs en l’absence de réception des travaux, ainsi que sur la mobilisation des garanties d’assurance facultatives souscrites par ces derniers.

Des propriétaires d’un immeuble avaient confié la réalisation de travaux de construction d’une piscine à un artisan, le lot terrassement devant être exécuté par une société de maçonnerie pour une somme de 14.501,40 euros. Parallèlement, cette même société s’était vu confier la réalisation de travaux de ravalement de la façade arrière du bâtiment principal pour un prix de 17.715,60 euros.

Se plaignant de nombreux désordres affectant tant la piscine que la façade de l’immeuble, les maîtres de l’ouvrage ont saisi le juge des référés qui, par décision du 4 juin 2020, a ordonné une mesure d’expertise judiciaire. L’expert a déposé son rapport le 8 avril 2022, relevant notamment une réalisation du bassin qualifiée de « catastrophique » et un ravalement considéré comme « consternant ».

Par actes des 22 et 27 septembre et 17 octobre 2022, les maîtres de l’ouvrage ont assigné l’artisan pisciniste, la société de maçonnerie et son assureur devant le Tribunal judiciaire de Nantes aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.

L’assureur de la société de maçonnerie soulevait l’absence de réception des travaux pour s’opposer à toute mise en jeu de sa garantie décennale. Subsidiairement, il invoquait une clause d’exclusion de garantie relative à la reprise des travaux exécutés par son assuré.

La question posée au tribunal était double. Il convenait d’abord de déterminer le fondement juridique de la responsabilité des constructeurs en l’absence de réception des travaux. Il s’agissait ensuite de préciser les conditions de mobilisation des garanties d’assurance facultatives souscrites par l’entrepreneur.

Le Tribunal judiciaire de Nantes, statuant par jugement réputé contradictoire, retient la responsabilité contractuelle de droit commun des deux intervenants sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil. Il condamne in solidum la société de maçonnerie et l’artisan pisciniste à verser aux maîtres de l’ouvrage la somme de 40.394,36 euros au titre des travaux de reprise de la piscine. Il prononce également la condamnation in solidum de la société de maçonnerie et de son assureur au paiement des sommes de 13.350,53 euros et 54.280,63 euros au titre respectivement des désordres affectant le bâtiment annexe et du ravalement de façade. L’assureur est débouté tant de son exception de non-garantie que de son recours en garantie contre les autres intervenants.

Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs avant réception (I) et clarifie le régime de la garantie d’assurance de responsabilité civile professionnelle (II).

I. La responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs en l’absence de réception

Le tribunal rappelle le principe selon lequel l’absence de réception fait obstacle à l’application du régime de la garantie décennale (A), tout en affirmant la pleine efficacité de la responsabilité contractuelle de droit commun (B).

A. L’inapplicabilité du régime de la garantie décennale

Le tribunal relève que « les travaux de gros œuvre/terrassement confiés à la S.A.S.U. BATIMENT [B] [J] aux termes du devis du 22 décembre 2018, n’ont pas été réceptionnés ». Il en déduit que « les demandeurs ne peuvent se prévaloir des garanties légales prévues par les articles 1792 et suivants du code civil ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui subordonne l’application de la garantie décennale à l’existence d’une réception des travaux. La réception constitue en effet le point de départ du délai décennal et marque le transfert des risques du constructeur vers le maître de l’ouvrage.

Le tribunal refuse par ailleurs de rechercher l’existence d’une éventuelle réception tacite des travaux. Il observe que les maîtres de l’ouvrage « ne s’expliquent aucunement sur ce point » et « ne démontrent pas, en tout état de cause, que les conditions d’application de ces dispositions légales sont réunies ». Cette exigence probatoire pesant sur le demandeur témoigne de la rigueur avec laquelle le juge apprécie les conditions d’application du régime spécial de responsabilité des constructeurs.

B. L’engagement de la responsabilité contractuelle de droit commun

Le tribunal fait application de l’article 1231-1 du code civil aux termes duquel « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ».

Il caractérise les manquements contractuels de chaque intervenant. S’agissant de la société de maçonnerie, il retient que « les défauts de dimensionnement, d’altimétrie du bassin et le faux niveau du radier constatés au cours des opérations d’expertise, sont en effet à l’évidence le résultat d’erreurs de conception et d’exécution ». Concernant l’artisan pisciniste, il relève que « le mauvais positionnement/le défaut de fixation des canalisations périphériques et des circuits reprenant les skimmers, l’absence de finition et d’alimentation électrique extérieure, la fuite récurrente sur un skimmer, sont à l’évidence le résultat d’erreurs de conception/d’exécution ».

Le tribunal ajoute que l’artisan pisciniste « a accepté de procéder à la mise en œuvre du revêtement de la piscine sur un support réalisé par la S.A.S.U. BATIMENT [B] [J], parfaitement inadapté et affecté de défauts qu’il ne pouvait ignorer ». Cette faute d’acceptation du support aggrave sa responsabilité et justifie sa condamnation solidaire avec le terrassier.

II. La mobilisation de la garantie d’assurance de responsabilité civile professionnelle

Le tribunal se prononce sur l’étendue de la garantie d’assurance souscrite par la société de maçonnerie (A) et rejette l’exception de non-garantie invoquée par l’assureur (B).

A. L’étendue de la garantie aux dommages intermédiaires

Le tribunal constate que la société de maçonnerie a souscrit auprès de son assureur « une assurance multirisque des professionnels du bâtiment et des travaux publics garantissant non seulement, les dommages de nature décennale, mais également les dommages aux existants divisibles et les dommages intermédiaires relevant de sa responsabilité contractuelle ».

La notion de dommages intermédiaires désigne les désordres qui, sans atteindre le seuil de gravité requis par l’article 1792 du code civil, n’en constituent pas moins des malfaçons engageant la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur. L’extension de la garantie à ces dommages relève des garanties facultatives du contrat d’assurance.

Le tribunal en déduit que « la garantie de la S.A. MAAF ASSURANCES doit être mobilisée pour l’ensemble des dommages subis par les époux [O] du fait du manquement de la S.A.S.U. BATIMENT [B] [J] à ses obligations contractuelles ». Il précise toutefois que « les plafond et franchise leur sont opposables s’agissant de garanties facultatives », conformément à la jurisprudence distinguant les garanties obligatoires des garanties facultatives.

B. Le rejet de l’exception de non-garantie

L’assureur invoquait l’exclusion de garantie prévue à l’article 11 des conditions générales du contrat concernant « la reprise des travaux exécutés par son assuré ». Le tribunal écarte cette exception pour deux motifs.

D’une part, il relève que « ces conditions générales ne comportent pas la signature de la S.A.S.U. BATIMENT [B] [J] ». D’autre part, il observe que « si aux termes de la proposition d’assurance acceptée par ses soins, elle a reconnu avoir pris connaissance des conditions générales du contrat, la référence mentionnée sur celle-ci est distincte de celle figurant sur l’exemplaire des conditions générales versées aujourd’hui aux débats ». Cette discordance des références empêche l’assureur de se prévaloir de la clause litigieuse.

Le tribunal ajoute « en tout état de cause » que l’indemnisation sollicitée « ne correspond aucunement à la reprise des travaux exécutés par la S.A.S.U. BATIMENT [B] [J], mais à la réparation des dommages causés par la réalisation de ses travaux ». Cette distinction entre la reprise des travaux défectueux et la réparation des dommages causés aux existants limite considérablement le champ d’application de l’exclusion invoquée.

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Hassan KOHEN
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