Tribunal judiciaire de Nantes, le 20 juin 2025, n°21/00939

Le droit de la sécurité sociale exige du bénéficiaire de prestations sociales une transparence totale sur les ressources du foyer. La question de la charge de la preuve en matière d’opposition à contrainte et des obligations déclaratives pesant sur le bénéficiaire d’une allocation supplémentaire d’invalidité vivant en concubinage illustre cette exigence.

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, a rendu le 20 juin 2025 un jugement relatif à la répétition d’un indu d’allocation supplémentaire d’invalidité.

Un assuré, bénéficiaire de l’allocation supplémentaire d’invalidité, vivait en concubinage depuis le 1er octobre 2015. Durant la période du 1er octobre 2015 au 30 novembre 2016, il n’a pas déclaré sur ses déclarations trimestrielles de ressources les revenus de sa compagne, laquelle percevait une rémunération au titre d’une activité salariale agricole ainsi que des prestations sociales. La caisse primaire d’assurance maladie, après enquête, a constaté que les ressources cumulées du couple dépassaient les plafonds légaux permettant l’attribution de cette allocation. Elle a émis une mise en demeure le 19 septembre 2017 pour un montant de 1 119,98 euros. Cette mise en demeure étant demeurée sans effet, le directeur de la caisse a émis une contrainte le 4 octobre 2021 pour un montant ramené à 1 087,20 euros après compensation. La contrainte a été signifiée par huissier puis notifiée par lettre recommandée le 12 octobre 2021.

L’assuré a formé opposition le 19 octobre 2021 devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes. Il invoquait sa bonne foi, sa vulnérabilité attestée par son placement sous sauvegarde de justice durant la période litigieuse, ainsi que sa situation économique précaire. La caisse demandait la validation de la contrainte et le remboursement de l’indu.

La question posée au tribunal était de déterminer si l’assuré pouvait se prévaloir de sa bonne foi et de sa situation de vulnérabilité pour échapper au remboursement d’un indu d’allocation supplémentaire d’invalidité résultant de l’omission de déclarer les ressources de sa concubine.

Le tribunal judiciaire de Nantes a déclaré l’opposition recevable mais l’a rejetée au fond, validant la contrainte pour son montant total de 1 087,20 euros et condamnant l’assuré au paiement de cette somme ainsi qu’aux frais de signification.

Cette décision présente un double intérêt. Elle rappelle l’étendue des obligations déclaratives pesant sur le bénéficiaire d’une allocation soumise à condition de ressources (I), puis elle précise le régime probatoire applicable à l’opposition à contrainte (II).

I. L’obligation déclarative étendue aux ressources du concubin

Le tribunal consacre une interprétation stricte de l’obligation déclarative (A) tout en rejetant les causes d’exonération invoquées par l’assuré (B).

A. Une obligation déclarative expressément étendue au concubin

Le tribunal fonde sa décision sur les dispositions combinées des articles L 815-23, R 815-61, R 815-18 et R 815-27 du code de la sécurité sociale. Il rappelle que « la personne qui sollicite le bénéfice de l’allocation supplémentaire d’invalidité est tenue de faire connaître à l’organisme ou au service chargé de la liquidation le montant des ressources […] dont elle-même et, le cas échéant son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, disposent ». Cette obligation trouve sa justification dans le caractère subsidiaire de l’allocation supplémentaire d’invalidité, destinée à garantir un niveau de ressources minimal.

Le tribunal souligne la clarté du formulaire de déclaration trimestrielle. Ce document « comport[e] en page 2 un paragraphe 8 intitulé : « Si vous bénéficiez de l’allocation supplémentaire d’invalidité, veuillez remplir également le tableau ci-dessous » ». Le juge observe que ce tableau « distingue entre les avantages perçus par l’assuré et ceux perçus par le conjoint, concubin ou partenaire ». L’assuré « était donc très explicitement invité à indiquer les montants bruts des avantages perçus pendant la période de référence par sa compagne ».

B. Le rejet des causes d’exonération tirées de la bonne foi et de la vulnérabilité

L’assuré invoquait plusieurs arguments pour échapper au remboursement. Il soutenait avoir été placé sous sauvegarde de justice durant la période litigieuse « en raison de sa vulnérabilité et de son incapacité à gérer pleinement ses affaires personnelles et administratives ». Il faisait également valoir que chaque membre du couple gérait ses finances de manière distincte et qu’il n’avait « ni la possibilité ni l’obligation de contrôler les revenus de son ex-compagne ».

Le tribunal écarte ces moyens sans ambiguïté. Il relève que l’assuré « n’a donné aucune indication sur les montants bruts des avantages perçus » par sa compagne et qu’« à aucun moment, il n’a fait part à la caisse de difficultés qu’il aurait eues à obtenir ces renseignements ». Le juge refuse ainsi de tenir compte de la situation personnelle de l’assuré pour l’exonérer de son obligation déclarative. La bonne foi alléguée ne constitue pas un fait justificatif de nature à faire obstacle à la répétition de l’indu.

II. Le régime probatoire de l’opposition à contrainte

Le tribunal précise la charge de la preuve incombant à l’opposant (A) avant d’en tirer les conséquences sur la validation de la contrainte (B).

A. La charge de la preuve pesant sur l’opposant

Le tribunal énonce une règle probatoire déterminante. Il affirme que « même si la [caisse] a procéduralement la qualité de demandeur, il résulte des dispositions de l’article R 133-3 du code de la sécurité sociale qu’il incombe à l’opposant de rapporter la preuve du caractère infondé des sommes dont le remboursement lui est demandé ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de contrainte.

Le mécanisme de la contrainte présente en effet une particularité procédurale. Le titre exécutoire émis par le directeur de l’organisme social bénéficie d’une présomption de régularité. L’opposition formée par le débiteur ne suspend pas le caractère exécutoire de la contrainte mais ouvre un débat au fond sur le bien-fondé de la créance. Dans ce cadre contentieux, il appartient à l’opposant de démontrer l’absence de fondement de la somme réclamée.

B. L’insuffisance des moyens de défense et la validation de la contrainte

Le tribunal constate que l’assuré « ne propose pas de rapporter cette preuve, mais se borne à invoquer le montant, excessif selon lui, compte tenu de sa situation financière, de la somme dont le paiement lui est demandé ». L’argument tiré de la précarité économique ne constitue pas une contestation du bien-fondé de la créance. Le juge précise d’ailleurs que l’assuré « a toujours la possibilité de demander à la [caisse] des délais de paiement », distinguant ainsi la question de l’existence de la dette de celle de ses modalités de recouvrement.

Le tribunal valide en conséquence la contrainte pour son montant total. Il condamne également l’assuré aux frais de signification de 65,72 euros, conformément aux articles R 133-6 du code de la sécurité sociale et A 444-32 du code de commerce. En revanche, il refuse de faire droit à la demande de la caisse au titre de l’article 700 du code de procédure civile, « l’équité et la différence de situation économique entre les parties » justifiant que chacune conserve la charge de ses frais irrépétibles.

Cette décision s’inscrit dans une application rigoureuse du droit de la sécurité sociale. Elle rappelle que les prestations soumises à condition de ressources impliquent une obligation de transparence totale du bénéficiaire, y compris sur les revenus de son concubin. La vulnérabilité de l’assuré, si elle peut justifier des mesures d’accompagnement dans le recouvrement, ne saurait constituer un motif d’exonération de l’obligation de remboursement d’un indu.

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Hassan KOHEN
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