Tribunal judiciaire de Orléans, le 16 juin 2025, n°25/03465

La rétention administrative des étrangers en situation irrégulière constitue un outil essentiel de la politique migratoire. Elle soulève toutefois des questions délicates tenant à la conciliation entre les impératifs d’ordre public et la protection des libertés individuelles. Le législateur a encadré strictement les conditions de prolongation de cette mesure privative de liberté, en particulier lorsque celle-ci excède les délais initiaux.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d’Orléans a rendu, le 16 juin 2025, une ordonnance refusant de faire droit à une demande de troisième prolongation de rétention administrative.

Les faits à l’origine de cette décision sont les suivants. Un ressortissant guinéen, né le 1er août 1997, a été placé en rétention administrative le 18 avril 2025. Par ordonnance du 23 avril 2025, le juge a ordonné une première prolongation pour une durée de vingt-six jours. Cette décision a été confirmée en appel le 25 avril 2025. Une deuxième prolongation de trente jours a été ordonnée le 18 mai 2025, elle aussi confirmée par le premier président de la cour d’appel d’Orléans le 20 mai 2025.

Par requête du 15 juin 2025, la préfecture d’Eure-et-Loir a sollicité une troisième prolongation de la rétention. Elle invoquait deux fondements distincts tirés de l’article L.742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le premier tenait à la délivrance prochaine d’un document de voyage par le consulat de Guinée. Le second reposait sur la menace que l’intéressé représenterait pour l’ordre public, eu égard à une condamnation pénale pour des faits liés aux stupéfiants.

L’administration soutenait ainsi que les conditions exceptionnelles permettant une troisième prolongation étaient réunies. L’intéressé contestait cette analyse.

La question posée au juge était la suivante : les conditions légales permettant d’ordonner une troisième prolongation de la rétention administrative étaient-elles caractérisées en l’espèce ?

Le tribunal judiciaire d’Orléans a refusé d’ordonner la prolongation sollicitée. Sur le premier fondement, le juge a relevé l’absence de toute démonstration d’une délivrance des documents de voyage à bref délai. Sur le second, il a considéré que la seule condamnation pénale invoquée, ancienne de trois ans, ne suffisait pas à caractériser une menace actuelle pour l’ordre public.

Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les exigences probatoires pesant sur l’administration dans le cadre d’une demande de troisième prolongation (I), et en ce qu’elle affine les contours de la notion de menace pour l’ordre public (II).

I. L’exigence d’une démonstration rigoureuse des conditions légales de prolongation

Le juge rappelle que la troisième prolongation revêt un caractère exceptionnel imposant à l’administration d’établir positivement la réunion des conditions légales (A). Il en déduit une appréciation stricte de la condition tenant à la délivrance imminente d’un document de voyage (B).

A. Le caractère exceptionnel de la troisième prolongation

L’article L.742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile encadre rigoureusement les hypothèses dans lesquelles une prolongation au-delà de la durée maximale initiale peut être ordonnée. Le texte énumère limitativement les situations justifiant cette mesure dérogatoire.

Le juge rappelle cette exigence en soulignant que la préfecture doit alléguer et établir les faits propres à fonder sa demande. Il s’agit d’une application directe de l’article 6 du Code de procédure civile qui met à la charge des parties la preuve des faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

La décision insiste sur le fait que « conformément aux dispositions de l’article L.742-5 précité, une troisième prolongation de la rétention administrative ne peut être sollicitée par la préfecture et ordonnée par le magistrat du siège du tribunal judiciaire qu’à titre exceptionnel et uniquement dans les cas limitativement énumérés par cet article ».

Cette formulation traduit une conception restrictive du pouvoir de prolongation. Le juge se positionne en gardien des libertés individuelles face à une mesure privative de liberté dont la durée ne saurait être étendue sans justification solide.

B. L’insuffisance de la preuve relative à la délivrance d’un document de voyage

Parmi les hypothèses autorisant une troisième prolongation figure celle prévue au 3° de l’article L.742-5. Elle suppose que la décision d’éloignement n’ait pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat et qu’il soit établi que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

En l’espèce, la préfecture avait sollicité le consulat guinéen aux fins d’identification et de délivrance d’un laissez-passer. Une relance avait été adressée le 13 juin 2025 sans obtenir de réponse.

Le juge considère que ces éléments sont insuffisants. Il relève qu’« il n’est nullement démontré que la délivrance des documents de voyages par un consulat devrait intervenir à bref délai ». La simple sollicitation du consulat, même assortie d’une relance, ne vaut pas preuve d’une délivrance imminente.

Cette appréciation impose à l’administration d’apporter des éléments tangibles attestant d’un engagement concret du consulat à délivrer les documents nécessaires. Une expectative ou une probabilité ne saurait suffire.

II. La caractérisation insuffisante de la menace pour l’ordre public

Le juge précise les modalités du contrôle qu’il exerce sur l’appréciation de la menace pour l’ordre public (A). Il applique ces principes pour écarter la qualification en l’espèce (B).

A. Les critères d’appréciation de la menace pour l’ordre public

L’article L.742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet également de fonder une demande de prolongation sur l’existence d’une menace pour l’ordre public. Cette notion autonome n’est pas subordonnée à la survenance d’un événement dans les quinze derniers jours de la rétention.

Le juge rappelle que l’appréciation de cette menace doit s’effectuer selon un contrôle normal, à l’instar de celui pratiqué par les juridictions administratives. Il se réfère expressément à la jurisprudence du Conseil d’État ainsi qu’à celle de la cour d’appel d’Orléans.

L’ordonnance précise que « le juge apprécie in concreto la caractérisation de la menace pour l’ordre public, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé ».

Cette méthode implique une analyse globale prenant en compte tant les éléments défavorables que les indices traduisant une évolution positive du comportement de l’intéressé. Le juge énumère à cet égard le positionnement sur les faits, le comportement en détention, la volonté d’indemniser les victimes ou les projets de réinsertion.

B. L’ancienneté des faits excluant toute menace actuelle

En l’espèce, la préfecture invoquait une condamnation prononcée le 21 novembre 2022 par le tribunal correctionnel de Paris, confirmée en appel le 15 mars 2023, pour des faits de transport, détention, offre ou cession de stupéfiants.

Le juge écarte ce fondement en rappelant le principe selon lequel « la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public ». Cette formule est directement empruntée à la jurisprudence administrative.

L’ordonnance conclut que « la condamnation pour des faits de transport, détention, offre ou cession de stupéfiants n’apparait pas suffisante pour caractériser une menace pour l’ordre public actuelle, eu égard à l’ancienneté des infractions commises en 2022 ».

L’actualité de la menace constitue ainsi un élément déterminant. Une condamnation ancienne, fût-elle pour des faits graves, ne saurait à elle seule justifier une prolongation exceptionnelle de la privation de liberté. Cette exigence d’actualité préserve l’équilibre entre les nécessités de l’éloignement et le respect de la liberté individuelle.

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Hassan KOHEN
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