Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°25/01409

Le Tribunal judiciaire de Paris, par un jugement rendu le 19 juin 2025, s’est prononcé sur une demande de reconnaissance d’une unité économique et sociale formée par huit sociétés exerçant une activité de réparation d’appareils électroménagers.

Huit sociétés, composées d’une holding et de sept filiales régionales, ont saisi le tribunal afin de faire reconnaître l’existence d’une unité économique et sociale entre elles. Ces sociétés, toutes présidées par la même personne morale, exercent une activité identique de dépannage et de réparation à domicile d’équipements domestiques. Elles exploitent la même marque commerciale et relèvent de la même convention collective. Les salariés disposent de contrats de travail identiques et peuvent être transférés d’une société à l’autre par conventions tripartites.

Les sociétés requérantes ont déposé une requête le 16 septembre 2024 devant le tribunal judiciaire de Paris. Les organisations syndicales représentatives au niveau national, régulièrement convoquées pour l’audience du 15 mai 2025, n’ont pas comparu. Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 19 juin 2025.

Les demanderesses soutenaient que les critères de l’unité économique et de l’unité sociale étaient réunis. Elles invoquaient notamment l’identité de direction, la complémentarité des activités et l’existence d’une communauté de travailleurs caractérisée par des conditions d’emploi uniformes.

La question posée au tribunal était de déterminer si huit sociétés juridiquement distinctes pouvaient être reconnues comme constituant une unité économique et sociale au sens du droit du travail.

Le tribunal a fait droit à la demande. Il a jugé que les éléments produits justifiaient la reconnaissance d’une unité économique et sociale et a rappelé que cette entité constituerait désormais le cadre des élections professionnelles.

Cette décision illustre la mise en œuvre des critères jurisprudentiels de l’unité économique et sociale. Elle mérite examen tant au regard des conditions de reconnaissance de cette institution (I) que de ses conséquences sur la représentation du personnel (II).

I. Les conditions de reconnaissance de l’unité économique et sociale

La reconnaissance d’une unité économique et sociale suppose la réunion de deux éléments cumulatifs. Le tribunal vérifie d’abord l’existence d’une unité économique (A) avant d’examiner celle d’une unité sociale (B).

A. La caractérisation de l’unité économique

Le tribunal relève que « les sociétés ont toutes pour président la société » holding, ce qui démontre « une concentration des pouvoirs de direction ». Cette unité de direction constitue le premier critère de l’unité économique. La jurisprudence exige que les entités soient placées sous un pouvoir de décision commun, ce que traduit ici la structure pyramidale du groupe.

Le second critère tient à la nature des activités exercées. Le tribunal constate que les sociétés « ont un découpage régional et ont une activité similaire, voire identique ». Les extraits du registre du commerce établissent que toutes exercent le « dépannage et la réparation à domicile des équipements domestiques ». Cette identité d’objet social dépasse la simple complémentarité habituellement requise.

L’exploitation d’une marque commerciale commune renforce cette analyse. Le tribunal note que « les huit sociétés exploitent la marque » identique, ce qui traduit une intégration économique poussée. La clientèle perçoit ces sociétés comme une entité unique, indépendamment de leur autonomie juridique formelle.

La décision s’inscrit dans une conception souple de l’unité économique. Le juge ne recherche pas une confusion des patrimoines ou une dépendance financière absolue. Il lui suffit de constater une direction commune et une cohérence des activités pour retenir ce premier élément.

B. L’établissement de l’unité sociale

Le tribunal caractérise ensuite la communauté de travailleurs. Il relève que « les salariés peuvent être transférés de l’une des sociétés aux autres » par conventions tripartites. Cette permutabilité du personnel constitue un indice traditionnel de l’unité sociale. Elle révèle l’interchangeabilité des salariés au sein du périmètre considéré.

L’uniformité du statut collectif confirme cette analyse. Le tribunal observe que les salariés « disposent à de nombreux égards des conditions d’emploi et de travail identiques ». Les bulletins de salaire versés aux débats présentent « le même modèle » et attestent de classifications professionnelles comparables. Les avantages sociaux, notamment la complémentaire santé et les titres-restaurant, sont identiques.

L’application d’une convention collective unique achève de caractériser l’unité sociale. Le tribunal note que toutes les conventions de transfert « font toutes état de la même convention collective de branche » applicable. Cette identité de statut conventionnel traduit l’existence d’intérêts communs entre les salariés des différentes entités.

La motivation du tribunal apparaît conforme aux exigences jurisprudentielles. La Cour de cassation vérifie que les juges du fond ont caractérisé une réelle communauté d’intérêts et non une simple juxtaposition de personnels distincts.

II. Les effets de la reconnaissance de l’unité économique et sociale

La décision emporte des conséquences significatives sur l’organisation de la représentation du personnel. Le tribunal précise le cadre électoral applicable (A) et statue selon des modalités procédurales particulières (B).

A. La détermination du cadre de la représentation du personnel

Le tribunal « rappelle que cette unité économique et sociale est le cadre dans lequel devront avoir lieu les élections des institutions représentatives du personnel ». Cette précision constitue l’effet principal de la reconnaissance judiciaire. Les effectifs des huit sociétés seront désormais agrégés pour déterminer les seuils applicables.

L’unité économique et sociale permet ainsi de dépasser le cloisonnement juridique du groupe. Chaque société, prise isolément, n’atteindrait peut-être pas les seuils de mise en place d’un comité social et économique. Leur regroupement assure une représentation effective des salariés proportionnée à la réalité économique.

Le tribunal souligne que l’unité économique et sociale « n’a pas de personnalité juridique ». Cette absence de personnalité morale n’empêche pas la reconnaissance d’un périmètre électoral unique. L’institution demeure une fiction juridique destinée à rétablir la cohérence entre l’exercice du pouvoir patronal et la représentation collective.

La décision s’inscrit dans la finalité protectrice du droit de la représentation du personnel. Elle évite que la multiplication des structures juridiques ne prive les salariés d’une représentation adaptée à l’organisation réelle de l’entreprise.

B. Les particularités procédurales de la reconnaissance

Le tribunal précise que « la présente instance étant engagée indépendamment de tout processus électoral en cours, la décision sera prononcée en premier ressort ». Cette mention éclaire le régime contentieux applicable. La reconnaissance d’une unité économique et sociale obéit à des règles procédurales variables selon le contexte.

Lorsque la demande s’inscrit dans un contentieux électoral, le tribunal statue en dernier ressort. Le jugement n’est alors susceptible que d’un pourvoi en cassation. En l’espèce, l’absence de processus électoral en cours justifie un jugement en premier ressort, susceptible d’appel.

Les organisations syndicales, bien que régulièrement convoquées, n’ont pas comparu. Cette absence n’a pas fait obstacle à l’examen de la demande. Le tribunal a statué par jugement réputé contradictoire, ce qui préserve les droits des défaillants tout en permettant la reconnaissance sollicitée.

La décision illustre la possibilité d’une reconnaissance judiciaire sur requête des employeurs eux-mêmes. Cette démarche spontanée, antérieure à tout conflit, témoigne d’une volonté de sécurisation juridique. Elle permet d’organiser les élections professionnelles sur un périmètre clarifié et incontestable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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