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Par un jugement rendu le 18 juin 2025, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire s’est prononcé sur les effets d’une clause résolutoire insérée dans un bail d’habitation en présence d’un locataire défaillant ayant néanmoins manifesté sa volonté de conserver son logement.
Un office public de l’habitat avait consenti par acte sous seing privé du 28 décembre 2015 un bail portant sur un local à usage d’habitation moyennant un loyer mensuel de 278,78 euros charges comprises. Une situation d’impayés ayant été constatée, le bailleur a signalé cette situation à la caisse d’allocations familiales le 5 juin 2023 puis a fait délivrer au locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire le 23 juin 2023. Un plan d’apurement signé le 25 juin 2024 n’a pas permis de solder la dette. Le bailleur a alors assigné le locataire le 26 novembre 2024 aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire au 24 août 2023, ordonner l’expulsion et obtenir condamnation au paiement des arriérés.
Le locataire, assigné à étude, n’a pas comparu. Le diagnostic social et financier transmis au greffe révélait cependant que l’intéressé avait quasi soldé sa dette en début d’année et repris le paiement du loyer courant. La dette actualisée, composée principalement du supplément de loyer de solidarité appliqué depuis janvier 2025 faute de transmission des documents requis, s’élevait à 1.493,07 euros.
Le bailleur demandait le constat de la résiliation du bail et l’expulsion immédiate. Le locataire, par son comportement antérieur, avait manifesté sa volonté de conserver le logement sans toutefois solliciter formellement des délais.
La question posée au juge était celle de savoir si le magistrat peut, d’office et en l’absence du locataire à l’audience, suspendre les effets d’une clause résolutoire acquise et accorder des délais de paiement lorsque les éléments du dossier révèlent une volonté de maintien dans les lieux et une capacité de règlement de la dette.
Le tribunal constate d’abord l’acquisition de la clause résolutoire au 24 août 2023, le locataire n’ayant ni réglé sa dette ni sollicité de délais dans les deux mois du commandement. Puis, faisant application d’office des dispositions de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifiées par la loi du 27 juillet 2023, il accorde au locataire défaillant un échéancier de 24 mois avec suspension des effets de la clause résolutoire.
Le pouvoir d’office du juge en matière de suspension de la clause résolutoire constitue une manifestation remarquable de la fonction sociale du droit au logement (I), tandis que les conditions et modalités de cette suspension révèlent un équilibre renouvelé entre les intérêts du bailleur et la protection du locataire (II).
I. L’office du juge renforcé au service du droit au logement
Le jugement commenté illustre l’extension considérable des pouvoirs du juge des contentieux de la protection en matière locative (A), extension qui s’inscrit dans une évolution législative favorable à la prévention des expulsions (B).
A. L’exercice d’office du pouvoir de suspension
Le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire applique les dispositions de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 dans leur rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023. Cette dernière a introduit une modification substantielle en permettant au juge d’agir « à la demande du locataire, du bailleur ou d’office ». Le jugement exploite pleinement cette faculté puisque le locataire, non comparant, n’avait formulé aucune demande.
La motivation retenue mérite attention : « il ressort des pièces versées aux débats qu’il avait quasi soldé sa dette en début d’année et repris le paiement de son loyer courant, démontrant ainsi sa volonté de conserver son logement ». Le juge procède donc à une appréciation in concreto de la situation du débiteur à partir des éléments objectifs du dossier. Le diagnostic social et financier, dont la transmission est obligatoire, fournit les informations nécessaires à cette analyse.
Cette démarche s’écarte de la conception traditionnelle du procès civil gouvernée par le principe dispositif. Le juge ne se contente pas de trancher le litige dans les limites des prétentions des parties. Il exerce un pouvoir de régulation sociale que la loi lui confère expressément.
B. La consécration législative d’une politique de maintien dans le logement
La loi du 27 juillet 2023 dite « Kasbarian » a profondément remanié le dispositif de prévention des expulsions locatives. L’extension du pouvoir d’office du juge participe de cette logique protectrice. Le jugement commenté en constitue une application exemplaire.
Le tribunal relève que la procédure a été « engagée antérieurement à la publication de la loi » mais applique néanmoins les nouvelles dispositions relatives au pouvoir d’office, celles-ci étant « d’application immédiate en l’absence de dispositions transitoires ». Cette articulation entre loi ancienne et loi nouvelle témoigne de la volonté du législateur de faire bénéficier immédiatement les locataires des garanties procédurales renforcées.
Le délai maximal de trois années susceptible d’être accordé, par dérogation au droit commun de l’article 1343-5 du code civil, confirme la spécificité du contentieux locatif. Le logement n’est pas une créance ordinaire. Sa perte emporte des conséquences humaines et sociales que le droit positif entend prévenir par des mécanismes adaptés.
II. Les conditions et effets de la suspension de la clause résolutoire
L’octroi de délais de paiement avec suspension de la clause résolutoire obéit à des conditions précises que le jugement examine avec rigueur (A). Les effets de cette mesure organisent un équilibre entre maintien du locataire et garantie des droits du bailleur (B).
A. L’appréciation des conditions légales de la suspension
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne la suspension à une double condition : le locataire doit être « en situation de régler sa dette locative » et avoir « repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Le tribunal constate la réunion de ces conditions à partir des éléments objectifs versés aux débats.
La reprise du paiement du loyer courant est établie par les écritures du bailleur lui-même qui actualise sa créance. La capacité de règlement de la dette s’infère du comportement antérieur du locataire qui avait « quasi soldé sa dette en début d’année ». Le juge relève en outre que « le montant de la nouvelle dette est constitué principalement du SLS » et pourrait être « significativement réduit » si le locataire transmet son avis d’imposition.
Cette analyse révèle une approche pragmatique. Le juge ne s’arrête pas à l’absence du défendeur. Il recherche dans les pièces les indices d’une situation susceptible de justifier la mesure sollicitée par le texte. La non-comparution ne saurait priver le locataire du bénéfice d’une disposition d’ordre public de protection.
B. L’organisation d’un équilibre contractuel renouvelé
Le dispositif du jugement organise minutieusement les conséquences de la suspension accordée. L’échéancier porte sur 24 mensualités de 60 euros en sus du loyer courant. La clause résolutoire « sera réputée ne jamais avoir joué en cas de respect intégral de l’échéancier, le bail initial reprenant effet en tous points ».
Cette formulation traduit le mécanisme de la condition résolutoire : le respect de l’échéancier efface rétroactivement les effets de la résiliation. Le bail est censé n’avoir jamais été rompu. Le locataire retrouve l’intégralité de ses droits.
En cas de défaillance, le jugement prévoit un mécanisme gradué. La clause résolutoire « sera acquise » à défaut de paiement d’une mensualité « quinze jours après une mise en demeure restée vaine ». L’expulsion pourra alors intervenir « deux mois après un commandement de quitter les lieux ». Le bailleur conserve ainsi la garantie d’une exécution effective en cas de nouvel impayé.
Le tribunal fixe l’indemnité d’occupation éventuelle au montant du loyer augmenté des charges, soit 337,28 euros. Il précise toutefois que le supplément de loyer de solidarité ne peut être intégré dans ce calcul, celui-ci « supposant l’existence d’un contrat de bail ». Cette distinction technique rappelle que l’indemnité d’occupation n’est pas un loyer mais la contrepartie de l’occupation sans titre.