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La recevabilité de l’action directe contre l’assureur de responsabilité civile professionnelle constitue un enjeu procédural fréquent dans le contentieux de la construction. La question de l’identification précise du débiteur de garantie se pose avec une acuité particulière lorsque des opérations de restructuration ont modifié la titularité des engagements d’assurance.
Le Tribunal judiciaire de Thionville, par ordonnance du juge de la mise en état du 16 juin 2025, apporte une illustration de cette problématique dans le cadre d’un litige né de l’installation de panneaux photovoltaïques.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Le 20 février 2017, un particulier a conclu avec une société spécialisée un contrat portant sur l’achat et l’installation de panneaux photovoltaïques pour un montant de 24 500 euros. Un prêt accessoire a été souscrit le même jour auprès d’un établissement de crédit. Par jugement du 23 septembre 2021, le juge des contentieux de la protection de Thionville a prononcé la nullité du contrat de vente et constaté la nullité de plein droit du contrat de crédit affecté.
Les acquéreurs ont ensuite recherché la garantie de l’assureur de responsabilité civile du vendeur. Par acte du 29 mars 2023, ils ont assigné une première société d’assurance devant le tribunal judiciaire de Thionville. Par acte du 19 décembre 2023, ils ont assigné une deuxième société. Enfin, par acte du 7 octobre 2024, ils ont assigné une troisième société portant une dénomination similaire mais immatriculée sous un numéro distinct. Les procédures ont été jointes.
Les sociétés d’assurance ont soulevé devant le juge de la mise en état une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir des demandeurs à l’égard de deux d’entre elles. Elles ont fait valoir qu’une seule société venait aux droits de l’assureur initial du vendeur.
La question posée au juge de la mise en état était de déterminer si les demandeurs justifiaient d’un intérêt à agir contre chacune des trois sociétés d’assurance assignées, ou si l’action devait être déclarée irrecevable à l’égard de celles qui n’étaient pas le véritable débiteur de la garantie.
Le juge de la mise en état déclare irrecevables les demandes dirigées contre deux des trois sociétés assignées et recevables celles dirigées contre la troisième. Il retient que les deux premières sociétés « ne sont pas les assureurs » du vendeur, de sorte que les demandeurs « n’ont pas intérêt à agir à leur encontre ».
Cette ordonnance invite à examiner le contrôle de l’intérêt à agir dans l’action directe contre l’assureur (I), avant d’analyser les conséquences procédurales de l’erreur d’identification du débiteur de garantie (II).
I. Le contrôle de l’intérêt à agir dans l’action directe contre l’assureur
L’ordonnance rappelle les fondements textuels de la fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt (A), puis applique ce contrôle à l’identification du véritable assureur (B).
A. Le cadre juridique de la fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt
Le juge de la mise en état fonde sa décision sur les articles 122 et 31 du code de procédure civile. L’article 122 énonce que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt ». L’article 31 précise que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ».
Ces dispositions traduisent une conception objective de l’intérêt à agir. Le demandeur doit justifier d’un avantage que lui procurerait la satisfaction de sa prétention. Cet avantage doit être juridique, direct, personnel, né et actuel.
Dans le cadre de l’action directe prévue par l’article L. 124-3 du code des assurances, la victime dispose d’un droit propre contre l’assureur du responsable. Ce droit suppose toutefois que le défendeur soit effectivement l’assureur du responsable. À défaut, le demandeur ne peut prétendre à aucun avantage de la condamnation d’un tiers étranger au rapport de garantie.
Le contrôle de cette condition relève de la recevabilité et non du fond. Le juge ne statue pas sur l’existence ou l’étendue de la garantie, mais sur le point de savoir si le défendeur est susceptible d’être tenu de cette garantie.
B. L’application du contrôle à l’identification de l’assureur
En l’espèce, le juge de la mise en état relève que « les défenderesses justifient que » deux des sociétés assignées « ne sont pas les assureurs » du vendeur. Cette formulation laisse entendre que la preuve de l’absence de qualité d’assureur incombait aux sociétés défenderesses et qu’elles l’ont rapportée.
La difficulté provenait de la complexité des restructurations au sein du groupe d’assurance. Les trois sociétés portaient des dénominations proches et entretenaient des liens juridiques. Le juge a dû identifier laquelle venait aux droits de l’assureur initial à la date des faits.
Cette vérification suppose un examen des documents contractuels, des attestations d’assurance, des actes de transmission universelle de patrimoine ou des opérations de transfert de portefeuille. Le juge de la mise en état dispose des pouvoirs nécessaires pour procéder à cet examen dans le cadre de l’incident.
La solution retenue sanctionne l’erreur d’identification commise par les demandeurs. Ceux-ci ont multiplié les assignations sans parvenir à déterminer avec certitude le débiteur de la garantie. Seule la troisième société assignée, immatriculée sous un numéro distinct, s’est révélée être le véritable assureur.
II. Les conséquences procédurales de l’erreur d’identification du débiteur de garantie
L’ordonnance prononce l’irrecevabilité partielle des demandes (A) et tire les conséquences de cette irrecevabilité sur les frais de l’instance (B).
A. L’irrecevabilité des demandes mal dirigées
Le dispositif de l’ordonnance opère une distinction nette. Les demandes dirigées contre les deux premières sociétés sont déclarées irrecevables. Celles dirigées contre la troisième sont déclarées recevables. Cette dualité de traitement illustre la fonction du contrôle de l’intérêt à agir.
L’irrecevabilité n’emporte pas rejet au fond. Elle constate simplement que les conditions du droit d’agir ne sont pas réunies à l’égard de certains défendeurs. Les demandeurs conservent leur action contre le véritable assureur, qui devra répondre au fond.
Cette solution présente un caractère protecteur pour les sociétés indûment attraites à la procédure. Elles obtiennent une décision définitive sur l’absence de droit d’agir à leur encontre. Le juge ne prononce pas formellement leur mise hors de cause, mais l’irrecevabilité produit un effet équivalent en ce qu’elle met fin à l’instance les concernant.
Pour les demandeurs, la solution est moins favorable. Elle révèle une insuffisance dans la préparation de l’action. L’identification précise de l’assureur aurait dû être vérifiée avant toute assignation. La multiplication des actes introductifs d’instance témoigne d’une démarche tâtonnante qui a généré des frais inutiles.
B. Le traitement des frais de l’instance
L’ordonnance condamne les demandeurs aux dépens de l’incident. Cette solution découle de l’article 696 du code de procédure civile qui met les dépens à la charge de la partie qui succombe. Les demandeurs ont échoué dans leur tentative de maintenir l’action contre les deux premières sociétés.
Le juge rejette toutefois les demandes d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il invoque l’équité pour justifier ce refus. Cette décision peut s’expliquer par le fait que les demandeurs ont finalement identifié le bon débiteur et que le litige au fond demeure pendant.
Le refus de toute indemnité au titre des frais irrépétibles constitue une solution équilibrée. Les sociétés mises hors de cause ont dû exposer des frais de défense, mais ces frais restent à leur charge. Cette répartition traduit une appréciation de l’équité qui tient compte de la complexité des opérations de restructuration ayant rendu l’identification de l’assureur malaisée.
L’affaire est renvoyée à une audience ultérieure pour que le débat au fond s’engage contre le seul assureur dont la qualité a été reconnue. L’ordonnance épure ainsi l’instance en écartant les parties à l’égard desquelles l’action était vouée à l’échec.