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Le droit commun du dépôt, souvent éclipsé par les contrats spéciaux plus fréquemment mobilisés, conserve une vigueur particulière lorsqu’il s’agit de déterminer les obligations respectives d’un professionnel et de son client. Le Tribunal judiciaire de Toulouse, dans un jugement rendu le 19 juin 2025, en offre une illustration significative à l’occasion d’un litige opposant un particulier à un carrossier.
Les faits de l’espèce se présentent ainsi. Courant 2018, un particulier confie à un professionnel exerçant sous une enseigne individuelle la peinture complète d’un véhicule de collection, une automobile de marque allemande mise en circulation en 1973, moyennant un prix convenu de 7 000 euros. Un acompte de 3 000 euros est versé lors de la commande, puis un second versement de 1 700 euros intervient ultérieurement. Plusieurs années s’écoulent sans que les travaux ne soient achevés. Le 15 mai 2023, le propriétaire met en demeure le carrossier de terminer les travaux et de restituer le véhicule. Ce dernier répond que les travaux seront terminés le 9 juin 2023. Le 12 juin 2023, le propriétaire se présente au garage et constate que le véhicule est dépourvu de train avant. La facture définitive est établie le 19 juin 2023, faisant apparaître un solde de 2 300 euros. Après diverses correspondances entre les parties et leurs conseils, le propriétaire règle le solde le 3 janvier 2024. Le 15 janvier 2024, il reprend possession du véhicule et mandate un commissaire de justice qui constate que le moteur, déposé pour les travaux de réfection, n’a pas été remonté.
Le propriétaire assigne alors le carrossier devant le Tribunal judiciaire de Toulouse, sollicitant sa condamnation au paiement de 2 100 euros au titre des frais de repose du moteur, de 100 euros pour les frais de transport, de 369,20 euros pour les frais de constat, ainsi que de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Le défendeur conclut au rejet de l’ensemble des demandes et forme une demande reconventionnelle en paiement de 250 euros pour frais de gardiennage et de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700.
La question soumise au tribunal était la suivante : le dépositaire d’un véhicule confié pour des travaux de carrosserie est-il tenu de restituer le bien dans l’état où il l’a reçu, et notamment avec son moteur remonté, alors même que la dépose de celui-ci a été rendue nécessaire par l’exécution des travaux commandés ?
Le tribunal répond par l’affirmative. Il juge que « le dépositaire, tenu de rendre identiquement la chose même qu’il a reçu, ne doit pas supporter les détériorations qui ne sont pas survenues de son fait » et que le carrossier, « tenu de restituer le véhicule dans l’état dans lequel il se trouvait lors du dépôt, doit donc supporter le coût de la repose du moteur ». Il condamne le professionnel au paiement de 1 050 euros à ce titre, rejette les demandes relatives aux frais de transport et de constat, ainsi que la demande reconventionnelle en frais de gardiennage.
Cette décision invite à examiner successivement la qualification juridique retenue et le régime de la restitution qui en découle (I), puis l’appréciation judiciaire du préjudice et la répartition des charges accessoires (II).
I. L’application du régime du dépôt au contrat d’entreprise
Le tribunal mobilise les règles du dépôt pour trancher un litige né d’un contrat de carrosserie (A), ce qui détermine l’étendue de l’obligation de restitution pesant sur le professionnel (B).
A. La qualification du contrat et la présomption de bon état
Le tribunal fonde sa décision sur les articles 1927 et suivants du Code civil relatifs au dépôt. Cette qualification mérite attention. Le contrat litigieux était en réalité un contrat d’entreprise portant sur des travaux de peinture. Le tribunal ne s’attarde pas sur cette distinction et applique directement les règles du dépôt, considérant implicitement que la détention du véhicule par le professionnel pendant l’exécution des travaux fait naître à sa charge les obligations d’un dépositaire.
Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît que le contrat d’entreprise emporte accessoirement un dépôt lorsque le prestataire reçoit une chose pour y travailler. Le tribunal rappelle qu’« à défaut d’état des lieux contradictoire établi entre le déposant et le dépositaire, le bien est présumé avoir été déposé en état standard, sans dégradation ou détérioration particulière ». Cette présomption, favorable au déposant, impose au professionnel de prouver l’état initial du bien s’il entend contester les allégations de son client.
En l’espèce, le procès-verbal de constat établissait que le véhicule avait été restitué avec sa peinture neuve mais moteur déposé. Le tribunal relève que les affirmations du propriétaire selon lesquelles le véhicule avait été confié avec son moteur en place n’étaient « pas sérieusement contredites » par le défendeur. L’attestation produite par ce dernier confirmait d’ailleurs que la dépose avait été effectuée par un tiers mécanicien, ce qui établissait a contrario que le moteur était bien en place lors de la remise du véhicule.
B. L’obligation de restitution identique
Le tribunal énonce avec netteté le principe cardinal du dépôt : « le dépositaire, tenu de rendre identiquement la chose même qu’il a reçu, ne doit pas supporter les détériorations qui ne sont pas survenues de son fait, et supporte la charge de la preuve de cette cause d’exonération ». Cette formulation reprend les termes de l’article 1933 du Code civil et en tire les conséquences probatoires.
Le défendeur tentait de justifier la non-repose du moteur par plusieurs arguments. Il soutenait ne pas avoir les compétences d’un mécanicien, avoir été mandaté uniquement pour l’apparence externe du véhicule, et affirmait qu’il était convenu que la repose serait effectuée par le propriétaire après restitution. Il ajoutait que l’absence de facturation de la repose démontrait qu’elle n’était pas comprise dans ses obligations.
Le tribunal écarte cette argumentation. Il retient que le professionnel « n’établit pas que les parties aient convenu le contraire, à savoir que ce coût resterait à la charge » du propriétaire. La charge de la preuve d’une convention dérogatoire à l’obligation de restitution identique pèse sur le dépositaire qui l’invoque. En l’absence d’écrit ou de tout autre élément probant, le tribunal applique le droit commun.
II. La détermination judiciaire de l’indemnisation et la répartition des frais
Le tribunal procède à une évaluation souveraine du préjudice indemnisable (A) et opère une répartition équilibrée des charges accessoires (B).
A. L’appréciation du coût de la repose du moteur
Le propriétaire réclamait 2 100 euros correspondant au devis d’un garagiste pour le « remontage complet du véhicule suite à une restauration ». Le tribunal refuse d’allouer l’intégralité de cette somme. Il relève qu’« il ne saurait être mis à la charge du carrossier des coûts extérieurs au coût de la repose du moteur ». Il exclut notamment les frais de repose des vitres et des éléments extérieurs au moteur et à ses annexes.
Cette distinction témoigne d’une application rigoureuse du principe de causalité. Le préjudice indemnisable est strictement celui qui résulte de l’inexécution de l’obligation de restitution. Le tribunal fixe souverainement le coût de la repose du moteur à 1 050 euros, soit exactement la moitié du devis produit. Cette évaluation, qui ne repose sur aucun chiffrage précis, relève du pouvoir d’appréciation du juge du fond.
La décision d’assortir cette condamnation d’intérêts au taux légal à compter du jugement, et non de la mise en demeure comme le sollicitait le demandeur, mérite d’être relevée. Elle s’explique par la nature de la créance : le coût de la repose constitue des dommages-intérêts dont le quantum a été fixé par le juge, et non une créance certaine, liquide et exigible dès la mise en demeure.
B. Le rejet des demandes accessoires et reconventionnelles
Le tribunal rejette les demandes du propriétaire relatives aux frais de transport et de constat. Pour le transport, il relève que le véhicule « avait été déposé sans vitres donc ne pouvait avoir été déposé à la carrosserie que sur plateau », suggérant que ce mode de transport était inhérent à l’état du véhicule et non à la faute du carrossier. Pour le constat, il retient simplement que le demandeur « a seul mandaté » le commissaire de justice. Ces motivations laconiques traduisent une conception restrictive du préjudice indemnisable.
La demande reconventionnelle en frais de gardiennage est également rejetée, mais pour un motif différent. Le tribunal juge que « le carrossier, qui a décidé de restituer un véhicule moteur déposé, ne peut imputer au [propriétaire] le délai qu’il a mis pour reprendre possession de son véhicule après travaux ». La causalité est ici inversée : c’est l’inexécution de l’obligation de restitution par le carrossier qui a retardé la reprise du véhicule, et non un comportement fautif du propriétaire.
Enfin, le tribunal rejette les demandes réciproques au titre de l’article 700 du Code de procédure civile tout en condamnant le défendeur aux dépens. Cette solution, qui laisse à chaque partie ses frais d’avocat, traduit peut-être la circonstance que le demandeur n’a obtenu que partiellement satisfaction. Le tribunal énonce qu’« il n’est pas inéquitable que [le propriétaire] conserve à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour agir en justice », formulation qui suggère une appréciation nuancée des comportements respectifs des parties dans la genèse du litige.