Tribunal judiciaire de Valence, le 19 juin 2025, n°25/00206

L’obligation de payer le loyer constitue l’obligation essentielle du preneur dans le contrat de bail. Son inexécution expose le locataire défaillant à la résiliation du contrat et à son expulsion. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Valence le 19 juin 2025 illustre le mécanisme de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation et ses conséquences.

Une société HLM avait consenti à une locataire un bail portant sur un logement situé dans la Drôme par contrat du 12 avril 2022, moyennant un loyer mensuel de 567,69 euros hors charges. Des impayés s’étant accumulés, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 8 janvier 2025 pour une somme de 1202,63 euros. Ce commandement étant demeuré sans effet, la société bailleresse a assigné la locataire devant le juge des contentieux de la protection par acte du 18 mars 2025. Elle sollicitait le constat de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion de la locataire, sa condamnation au paiement de l’arriéré locatif ainsi que des dommages et intérêts.

La locataire n’a pas comparu à l’audience du 22 mai 2025. Le bailleur actualisait sa créance à la somme de 3694 euros au 19 mai 2025.

La question posée au juge était double. Il lui appartenait de déterminer si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies et si le bailleur pouvait prétendre à des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires sur le fondement de l’article 1231-6 du code civil.

Le juge des contentieux de la protection constate que la clause résolutoire a produit ses effets à la date du 11 mars 2025. Il ordonne l’expulsion de la locataire et la condamne au paiement de la somme de 3694 euros outre une indemnité d’occupation. Il rejette la demande de dommages et intérêts formée par le bailleur.

Cette décision met en lumière le régime de la clause résolutoire dans le bail d’habitation (I) tout en rappelant les conditions restrictives d’octroi de dommages et intérêts complémentaires (II).

I. Le jeu de la clause résolutoire dans le bail d’habitation

Le mécanisme de la clause résolutoire obéit à un formalisme protecteur du locataire (A) dont le non-respect des délais emporte des conséquences automatiques (B).

A. Un formalisme légal destiné à protéger le locataire défaillant

L’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 encadre strictement les effets de la clause résolutoire insérée dans un bail d’habitation. Le texte prévoit que « toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux ». Ce délai de deux mois constitue une période de grâce légale offerte au locataire pour régulariser sa situation.

Le juge relève en l’espèce que « le bail conclu le 12 avril 2022 contient une clause résolutoire et un commandement de payer visant cette clause a été signifié le 8 janvier 2025 ». Le bailleur satisfait ainsi à la première exigence légale en délivrant un commandement qui vise expressément la clause résolutoire.

Le législateur a également imposé des formalités préalables à la saisine du juge. L’article 24 II de la loi de 1989 exige que les bailleurs personnes morales saisissent la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives deux mois avant toute assignation. Le jugement constate que le bailleur « justifie avoir avisé la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives le 9 janvier 2025, soit deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation du 18 mars 2025 ».

Cette articulation entre le commandement de payer et la saisine de la commission illustre la volonté du législateur de multiplier les alertes avant que la résiliation ne devienne inéluctable.

B. L’acquisition automatique de la clause résolutoire

Le respect du formalisme légal conduit à l’acquisition de plein droit de la clause résolutoire. Le juge constate que « ce commandement est demeuré infructueux pendant plus de deux mois, de sorte qu’il y a lieu de constater que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail étaient réunies à la date du 11 mars 2025 ».

Le rôle du juge se limite ici à un constat. Il ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de la résiliation dès lors que les conditions légales sont remplies. La locataire devient « occupante sans droit ni titre du logement donné à bail » à compter de cette date.

L’absence de comparution de la défenderesse aggrave sa situation. Le juge relève qu’elle « n’a pas comparu, et n’a pas transmis au tribunal d’éléments actualisés sur sa situation financière actuelle, susceptibles de motiver l’octroi de délais de paiement ». L’article 24 de la loi de 1989 permet au juge d’accorder des délais de paiement suspendant les effets de la clause résolutoire lorsque le locataire justifie de sa capacité à apurer sa dette. Cette faculté suppose toutefois que le locataire comparaisse et produise les éléments justifiant sa demande.

La passivité du locataire le prive de toute protection. Le juge ordonne l’expulsion en précisant que le bailleur pourra y procéder « deux mois après la signification d’un commandement de quitter les lieux ». Cette décision s’inscrit dans la logique du droit du bail qui sanctionne sévèrement le défaut de paiement des loyers.

II. Le rejet de la demande de dommages et intérêts complémentaires

L’article 1231-6 du code civil pose des conditions strictes pour l’octroi de dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires (A). Le bailleur échoue à démontrer leur réunion (B).

A. L’exigence cumulative d’un préjudice distinct et de la mauvaise foi

L’article 1231-6 du code civil organise la réparation du préjudice causé par le retard dans l’exécution d’une obligation de somme d’argent. Le texte dispose que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal ». Ces intérêts moratoires sont dus de plein droit sans que le créancier ait à justifier d’un quelconque préjudice.

Le second alinéa du texte ouvre une voie complémentaire en permettant au créancier d’obtenir des dommages et intérêts distincts. Le juge rappelle que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ».

Deux conditions cumulatives sont ainsi posées. Le créancier doit établir l’existence d’un préjudice qui ne se confond pas avec le simple retard de paiement. Il doit également démontrer la mauvaise foi du débiteur. Cette double exigence traduit la méfiance du législateur à l’égard d’une réparation qui viendrait doubler les intérêts moratoires sans justification particulière.

B. Une preuve non rapportée par le bailleur

Le juge rejette la demande de 300 euros de dommages et intérêts formée par le bailleur. Il relève que ce dernier « ne justifie ni d’un préjudice indépendant du retard apporté au paiement par son débiteur ni de la mauvaise foi de ce dernier ».

Cette motivation révèle une application stricte des conditions légales. Le bailleur s’est contenté de solliciter une somme forfaitaire sans caractériser le préjudice subi au-delà de la privation temporaire des loyers. Les frais de procédure, les démarches administratives ou le temps consacré au recouvrement auraient pu constituer des préjudices distincts. Leur absence de démonstration conduit au rejet de la demande.

La mauvaise foi du débiteur n’est pas davantage établie. Le simple défaut de paiement ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi. Il aurait fallu démontrer une intention de nuire ou une résistance abusive de la locataire. Son absence à l’audience ne constitue pas en soi un indice de mauvaise foi.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour de cassation rappelle régulièrement que les dommages et intérêts de l’article 1231-6 ne peuvent être accordés qu’en présence d’une preuve rapportée par le créancier. Le juge valencien fait une application orthodoxe de ce principe en refusant d’accorder une réparation qui ne repose sur aucun élément de preuve.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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