Tribunal judiciaire de Vannes, le 16 juin 2025, n°24/00338

Le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Vannes le 16 juin 2025 illustre une application remarquable de la faute inexcusable de l’employeur fondée sur une condamnation pénale préalable pour harcèlement moral. Une salariée, victime d’un accident du travail survenu le 25 août 2020, a été déclarée consolidée le 31 mars 2022 avec un taux d’incapacité permanente partielle de 25 %. Le gérant de la société employeuse avait été condamné pénalement pour harcèlement moral par le tribunal correctionnel de Lorient le 27 mars 2023, décision confirmée par la cour d’appel de Rennes le 10 avril 2024.

La salariée a saisi le pôle social le 17 juin 2024 aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. La société mise en cause s’en est remise à l’appréciation du tribunal, tandis que la caisse primaire d’assurance maladie s’en est rapportée à justice.

Le tribunal devait déterminer si la condamnation pénale du dirigeant pour harcèlement moral emportait nécessairement reconnaissance d’une faute inexcusable au sens de la législation sur les accidents du travail. Il devait également statuer sur les conséquences indemnitaires d’une telle reconnaissance.

Le tribunal a jugé que « l’existence d’une condamnation pénale pour non-respect des règles relatives à la sécurité implique nécessairement que l’employeur a eu conscience du danger auquel il exposait son salarié sans prendre les mesures nécessaires pour l’en protéger ». Il a reconnu la faute inexcusable, ordonné la majoration maximale de la rente et désigné un expert médical pour évaluer les préjudices.

Cette décision mérite analyse tant au regard de l’automaticité de la reconnaissance de la faute inexcusable en présence d’une condamnation pénale (I) que des modalités contemporaines de réparation intégrale du préjudice de la victime (II).

I. La reconnaissance automatique de la faute inexcusable par l’effet d’une condamnation pénale définitive

La décision consacre une transposition directe de l’autorité de la chose jugée au pénal vers la matière sociale (A), tout en révélant une extension notable du mécanisme au harcèlement moral (B).

A. Le principe de l’automaticité fondé sur l’autorité de la chose jugée au pénal

Le tribunal rappelle les deux conditions cumulatives de la faute inexcusable : « lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Cette définition prétorienne issue de l’arrêt des amiantes du 28 février 2002 structure depuis lors le contentieux de la faute inexcusable.

La juridiction vannetaise s’appuie sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle une condamnation pénale pour manquement aux règles de sécurité établit ipso facto les deux éléments constitutifs. Le juge pénal ayant déjà constaté le manquement et son caractère fautif, le juge social ne saurait remettre en cause cette appréciation sans méconnaître l’autorité de la chose jugée.

Cette solution assure une cohérence entre les ordres juridictionnels. Elle évite qu’un même fait puisse être qualifié de faute pénale tout en échappant à la qualification de faute inexcusable. L’employeur ne peut contester en matière sociale ce qu’il a définitivement admis ou ce qui lui a été définitivement imputé en matière pénale.

B. L’application au harcèlement moral source d’accident du travail

La particularité de l’espèce réside dans la nature de l’infraction pénale retenue. Le gérant n’avait pas été condamné pour une infraction classique aux règles d’hygiène et de sécurité mais pour harcèlement moral au sens de l’article 222-33-2 du code pénal. Le tribunal assimile cette condamnation à un « non-respect des règles relatives à la sécurité ».

Cette assimilation procède d’une conception extensive de l’obligation de sécurité. Le harcèlement moral constitue une atteinte à l’intégrité psychique du salarié. L’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur englobe tant la santé physique que mentale. La condamnation pour harcèlement établit donc nécessairement un manquement à l’obligation de prévention des risques psychosociaux.

Le tribunal ne développe pas explicitement ce raisonnement. Cette économie de moyens pourrait fragiliser la motivation. Un employeur pourrait arguer que le harcèlement moral ne constitue pas stricto sensu une infraction aux règles de sécurité au sens des textes du code du travail. L’interprétation retenue s’inscrit néanmoins dans une tendance jurisprudentielle favorable aux victimes de souffrances au travail.

II. L’actualisation du régime indemnitaire de la faute inexcusable

Le jugement applique les évolutions jurisprudentielles récentes relatives au déficit fonctionnel permanent (A) et organise une expertise complète aux fins de réparation intégrale (B).

A. L’intégration du déficit fonctionnel permanent dans les préjudices réparables

Le tribunal tire les conséquences de l’arrêt d’assemblée plénière du 20 janvier 2023. Il énonce que « la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne réparant pas le déficit fonctionnel permanent, la victime d’une faute inexcusable de l’employeur peut obtenir une réparation distincte ».

Ce revirement majeur a mis fin à une jurisprudence antérieure qui présumait la rente accident du travail comme indemnisant forfaitairement le déficit fonctionnel. La victime peut désormais obtenir réparation tant des souffrances antérieures à la consolidation que de « l’atteinte objective définitive portée contre son intégrité physique ».

Le tribunal dresse une liste exhaustive des préjudices indemnisables incluant le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent, les souffrances, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel. Cette énumération reprend la nomenclature désormais applicable et garantit une réparation intégrale conforme au droit commun de la responsabilité.

B. L’organisation procédurale de la réparation

Le tribunal ordonne une expertise médicale avec une mission détaillée couvrant l’ensemble des postes de préjudice. L’expert devra notamment « chiffrer le taux éventuel et dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier une indemnisation du déficit fonctionnel permanent ». Cette formulation reprend les critères dégagés par l’assemblée plénière.

La décision rejette la demande de provision au motif que la demanderesse n’a pas fourni « une pièce médicale établissant la gravité de son préjudice ». Cette exigence probatoire apparaît rigoureuse alors même que la faute inexcusable est reconnue et que le taux d’incapacité de 25 % atteste d’un dommage significatif.

La mise à la charge de la caisse des frais d’expertise avec action récursoire contre l’employeur respecte le mécanisme légal. L’assureur de l’employeur est déclaré partie au jugement, ce qui préserve les droits de la caisse dans son recours. La déclaration d’incompétence pour statuer sur la mise hors de cause de l’assureur préserve une frontière entre contentieux social et contentieux contractuel de l’assurance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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