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Le contentieux des baux d’habitation révèle les tensions entre le droit au logement et les impératifs de sécurité juridique des bailleurs. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Vannes le 19 juin 2025 illustre la recherche d’équilibre entre ces intérêts antagonistes.
Un office public de l’habitat avait consenti un bail d’habitation à un locataire portant sur un logement situé dans le Morbihan. Le loyer mensuel s’élevait à 348,76 euros, auxquels s’ajoutaient des provisions sur charges et une redevance pour garage et jardin. Le locataire a cessé de régler les loyers, conduisant le bailleur à lui adresser une mise en demeure en septembre 2024 pour une somme de 2492,72 euros. Par ailleurs, le locataire n’a pas répondu aux demandes d’informations relatives au supplément de loyer de solidarité. En novembre 2024, une tentative de conciliation a échoué.
L’office HLM a alors assigné le locataire devant le Tribunal judiciaire de Vannes aux fins de résiliation judiciaire du bail, d’expulsion et de condamnation au paiement d’une somme actualisée à 9027,06 euros. Le locataire a comparu personnellement, reconnaissant sa dette tout en faisant valoir une reprise d’activité professionnelle lui permettant d’honorer un échéancier. Le bailleur a accepté l’octroi de délais de paiement sur trente-six mois.
La question posée au juge des contentieux de la protection était de déterminer si, face à un impayé locatif significatif incluant un supplément de loyer de solidarité, le tribunal devait prononcer la résiliation immédiate du bail ou pouvait accorder des délais de paiement suspendant cette résiliation.
Le tribunal a condamné le locataire au paiement de 8385,06 euros et lui a accordé des délais de paiement sur trente-six mois. La résiliation du bail et l’expulsion n’ont été prononcées qu’à titre conditionnel, en cas de non-respect de l’échéancier.
Cette décision met en lumière le dispositif légal encadrant les expulsions locatives et la marge d’appréciation judiciaire. L’examen portera sur le contrôle rigoureux de la recevabilité de l’action en résiliation (I), puis sur l’aménagement judiciaire de la dette locative par l’octroi de délais suspensifs (II).
I. Le contrôle rigoureux de la recevabilité de l’action en résiliation
Le législateur a institué un dispositif procédural protecteur du locataire défaillant. Ce dispositif impose au bailleur personne morale une saisine préalable obligatoire (A) et organise l’information des services de l’État (B).
A. L’exigence d’une saisine préalable de la commission de coordination
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne la recevabilité de l’assignation délivrée par un bailleur personne morale à une saisine préalable de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives. Le texte impose un délai de deux mois entre cette saisine et la délivrance de l’assignation.
Le tribunal relève que « la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives du Morbihan a été avisée par courrier de la situation d’impayés en date du 3 septembre 2024, soit deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation du 5 mars 2025 ». Cette vérification chronologique conditionne l’examen au fond. Le non-respect de ce délai aurait entraîné l’irrecevabilité de la demande.
Cette exigence procédurale traduit la volonté du législateur de favoriser le traitement préventif des expulsions. La commission constitue un filtre permettant d’identifier les situations relevant d’un accompagnement social plutôt que d’une procédure contentieuse. L’office HLM, en qualité de bailleur social, se trouvait soumis à cette obligation renforcée.
B. L’information du représentant de l’État dans le département
Le dispositif légal impose également une notification de l’assignation au représentant de l’État « au moins six semaines avant l’audience ». Cette formalité permet la réalisation d’un diagnostic social et financier et l’information du locataire sur ses droits.
Le jugement constate que « la notification de l’assignation adressée au représentant de l’Etat dans le département plus de six semaines avant l’audience » a été produite aux débats. Le tribunal en déduit que « l’action est donc recevable en la forme ».
Cette seconde condition vise à garantir l’intervention des services sociaux avant l’audience. Le tribunal relève toutefois que le locataire « ne s’était pas présenté au rendez-vous permettant l’établissement de l’évaluation sociale ». Cette absence n’affecte pas la recevabilité de l’action mais prive le juge d’un élément d’appréciation de la situation du débiteur.
II. L’aménagement judiciaire de la dette par l’octroi de délais suspensifs
Le tribunal dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de différer la résiliation du bail. Ce pouvoir s’exerce sous conditions légales (A) et produit des effets protecteurs du locataire (B).
A. Les conditions d’octroi des délais de paiement
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 autorise le juge à accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années » lorsque le locataire « est en situation de régler sa dette locative » et « a repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ».
Le tribunal constate que le locataire « justifie à l’audience avoir repris le paiement des échéances courantes du loyer et être en mesure d’assurer le remboursement de l’arriéré locatif ». Le locataire avait produit un contrat de travail à durée indéterminée pour un salaire d’environ 1900 euros et démontré un règlement de 642 euros effectué le 17 avril 2025.
La créance incluait un supplément de loyer de solidarité de 2934,90 euros. Ce supplément résultait de l’absence de réponse du locataire aux demandes d’informations du bailleur. Le locataire a reconnu avoir reçu la mise en demeure mais « n’y avait pas répondu compte tenu de sa situation personnelle à cette époque ». Cette reconnaissance a permis d’établir définitivement le quantum de la dette.
B. Les effets protecteurs de la décision
Le tribunal accorde un échéancier de trente-six mensualités de 200 euros, la dernière apurant le solde. Cette durée correspond au maximum légal dérogatoire au délai de droit commun de l’article 1343-5 du code civil.
Le jugement précise que « le présent jugement suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier, et que les majorations d’intérêts ou les pénalités encourues en raison du retard cessent d’être dues pendant le délai ». Cette suspension protège le locataire pendant la durée de l’échéancier.
La résiliation du bail n’est prononcée qu’à titre conditionnel. Elle ne prendra effet qu’en cas de défaillance du locataire, « sept jours après l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception ». Ce mécanisme de déchéance du terme préserve les droits du bailleur tout en laissant au locataire la possibilité de conserver son logement par le respect de ses engagements.