Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-82.463

Par un arrêt du 25 juin 2025, la Cour de cassation, chambre criminelle, a cassé la décision de la cour d’appel de Paris du 26 mars 2024. La juridiction du fond avait retenu la qualification de détournement d’objet saisi sur le fondement de l’article 314-6 du code pénal.

Un juge des libertés et de la détention avait, par ordonnance du 3 février 2022, saisi un compte bancaire pour garantir une éventuelle confiscation. La notification est intervenue le 9 février, néanmoins plusieurs virements ont été réalisés avant le blocage effectif opéré par l’établissement le 22 février.

Le tribunal correctionnel, le 7 septembre 2022, a déclaré le prévenu coupable et prononcé quatre mois d’emprisonnement avec sursis et cent mille euros d’amende. Le ministère public et le prévenu ont relevé appel; la cour d’appel de Paris a confirmé la culpabilité pour des opérations exécutées après notification.

Le pourvoi soutenait que l’article 314-6 ne vise que les saisies civiles consenties « en garantie des droits d’un créancier », non les saisies pénales spéciales. Il invoquait le principe d’interprétation stricte, et renvoyait aux articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale.

La question de droit portait sur l’applicabilité de l’article 314-6 à un compte frappé d’une saisie pénale préalable à une peine de confiscation.

La chambre criminelle rappelle que « la loi pénale est d’interprétation stricte » et précise le périmètre exact de l’incrimination. Selon l’arrêt, « Le second incrimine le fait, par le saisi, de détourner ou de détruire un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier, confié à sa garde ou à celle d’un tiers. » Dès lors, « En statuant ainsi, alors que le texte d’incrimination susvisé exclut de son champ d’application les saisies pénales, » la décision d’appel a méconnu la légalité criminelle. « La cassation est par conséquent encourue, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs. »

L’analyse portera d’abord sur la délimitation textuelle et la correction de qualification opérées par la Haute juridiction. Elle s’attachera ensuite à la valeur normative et à la portée pratique de cette solution.

I – Délimitation textuelle et correction de qualification

A – Le champ de l’article 314-6 circonscrit aux saisies civiles

Le cœur du raisonnement tient à l’élément normatif « en garantie des droits d’un créancier » que le texte incriminateur place au centre. La Cour cite que « Le second incrimine le fait, par le saisi, de détourner ou de détruire un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier, confié à sa garde ou à celle d’un tiers. » Cette précision rattache l’incrimination au contentieux des sûretés et de l’exécution, non aux mesures probatoires ou répressives.

Le contexte procédural confirmait une saisie prononcée « en vue de prononcer une peine » de confiscation, dans le cadre des saisies spéciales du code de procédure pénale. Le caractère finalisé de la mesure, adossé à la peine complémentaire, la distingue des sûretés en faveur d’un créancier déterminé. La Cour refuse donc la porosité des régimes et dissipe l’ambiguïté née d’une unité apparente du mot saisie.

La chambre criminelle replace l’article 314-6 dans sa logique d’origine, dont la finalité protectrice du gage du créancier ne souffre pas d’extension téléologique. Cette lecture textualiste, adossée à l’article 111-4 du code pénal, garantit la prévisibilité de l’incrimination et ferme la voie à une assimilation hâtive entre saisie civile et saisie pénale.

B – L’exclusion des saisies pénales et l’indication de la bonne qualification

La cour d’appel avait retenu, pour asseoir la culpabilité, un fondement prétorien ancien. L’arrêt rapporté précise que les juges d’appel ont énoncé que « depuis 1895, la jurisprudence considère que les dispositions de l’ancien article 400 du code pénal devenu l’article 314-6 susvisé régissent aussi le cas où la saisie constitue une mesure préalable à l’application d’une peine. » La Cour de cassation écarte expressément cette orientation.

La censure s’adosse à une formule claire: « En statuant ainsi, alors que le texte d’incrimination susvisé exclut de son champ d’application les saisies pénales, » la décision attaquée heurte la légalité criminelle. L’exclusion découle du texte même, dont l’économie renvoie aux saisies constituées au profit d’un créancier, non aux gels patrimoniaux arrêtés par l’autorité judiciaire en vue d’une confiscation.

La Haute juridiction indique, en creux, la qualification pertinente en cas d’atteinte à un bien pénalement saisi. L’atteinte à une chose placée sous main de justice relève du chapitre des atteintes à l’autorité judiciaire, visé par l’article 434-22 du code pénal. Cette réorientation, cohérente avec la finalité probatoire et répressive des saisies spéciales, évite le chevauchement des incriminations et ordonne les typologies délictuelles.

La clarification opérée par la chambre criminelle met fin à une confusion entretenue par des lectures anciennes. Elle recentre l’analyse sur la nature juridique de la saisie pour déterminer l’incrimination adéquate, et fixe un critère opérationnel simple pour la pratique.

II – Valeur normative et portée pratique

A – Une réaffirmation de la légalité criminelle et de la prévisibilité

L’arrêt conforte la primauté du principe de légalité et l’exigence de clarté des éléments constitutifs. En rappelant que « la loi pénale est d’interprétation stricte », la Cour endigue les extensions prétoriennes nourries par des considérations d’opportunité. Le critère du bénéficiaire de la garantie, le créancier, redevient la clé de voûte de l’article 314-6.

Cette approche renforce la sécurité juridique des acteurs économiques soumis à des saisies diverses. Elle valorise la lecture combinée des textes de procédure, spécialement les articles 706-141 à 706-158, et des incriminations pénales complémentaires. Le message est net: la qualification se déduit de la finalité légale de la mesure de gel, non de sa seule apparence matérielle.

La solution prévient aussi les risques de double voie répressive pour un même comportement. En cantonnant l’article 314-6 aux saisies civiles, elle réserve aux textes du titre des atteintes à l’autorité judiciaire la répression des atteintes aux saisies pénales. L’équilibre des peines s’en trouve préservé, avec une proportionnalité mieux adaptée aux intérêts protégés.

B – Des conséquences opérationnelles pour les saisies spéciales et la politique pénale

Pour l’enquête et l’instruction, l’identification du régime de saisie devient un préalable décisif à toute poursuite pour détournement. Les autorités devront qualifier dès l’origine la mesure au regard de sa finalité de confiscation, sous peine d’erreur de prévention. Le choix de l’article 434-22 assurera la cohérence entre l’objet de la protection et l’incrimination mobilisée.

Sur le terrain de la défense, l’argumentaire se concentrera sur la preuve de la notification, la connaissance de la mesure et la matérialité des actes de soustraction ou de détournement. Le débat cessera de porter sur l’élément « créancier » étranger aux saisies pénales, ce qui épurera la discussion probatoire et recentrera l’office du juge.

La portée de l’arrêt touche la chaîne contentieuse, du parquet aux juridictions du fond. Les préventions devront être ajustées, et les décisions antérieures fondées sur l’article 314-6, lorsqu’elles visaient des saisies pénales, feront l’objet d’un contrôle affiné. La formule de l’arrêt, en ce qu’elle « exclut de son champ d’application les saisies pénales », orientera durablement les qualifications.

Enfin, la décision contribue à l’intelligibilité des régimes de saisie en droit français. Elle réaffirme une ligne de partage lisible entre protection du gage des créanciers et sauvegarde de l’autorité judiciaire. « La cassation est par conséquent encourue, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs », ce qui consacre la gravité du vice de qualification et ferme le débat au stade de la légalité.

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