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Par un arrêt du 25 juin 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la caractérisation du faux en écriture lorsque des correspondances sont adressées sous de fausses identités d’avocats afin de contourner le contrôle pénitentiaire des courriers.
Deux personnes, mises en examen et placées respectivement en détention provisoire et sous contrôle judiciaire comportant une interdiction d’entrer en contact, avaient échangé des correspondances en usurpant l’identité d’avocats. Cette manœuvre visait à faire bénéficier leurs courriers de la protection du secret professionnel et à éviter le contrôle de l’administration pénitentiaire. Une enquête fut ouverte. Le tribunal correctionnel les condamna le 4 octobre 2023, notamment pour faux et usage, tentative d’escroquerie aggravée et envois réitérés de messages malveillants. Les prévenus interjetèrent appel. La cour d’appel de Versailles, par arrêt du 22 mars 2024, confirma les condamnations, retenant douze mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve ainsi que cinq ans d’inéligibilité pour l’une, deux ans d’emprisonnement ferme et cinq ans d’inéligibilité pour l’autre.
Les condamnés formèrent un pourvoi en cassation. Ils soutenaient notamment que le rapport oral du conseiller, formalité substantielle, avait été présenté après les débats sur la requête en nullité, en violation des articles 513 et 591 du code de procédure pénale. Sur le fond du délit de faux, ils contestaient la caractérisation de l’infraction.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si l’usurpation d’identité d’avocats sur des correspondances échangées entre détenus constitue un faux punissable, dès lors que ces mentions frauduleuses sont susceptibles de produire un effet juridique consistant à contourner le contrôle pénitentiaire.
La Cour de cassation casse l’arrêt pour un motif procédural tenant au moment du rapport oral, mais valide le raisonnement de la cour d’appel sur la caractérisation du faux. Elle retient que « les mentions fausses tenant à l’identité de l’émetteur ou du destinataire portées sur les courriers en cause étaient susceptibles de produire un effet juridique, à savoir le contournement du contrôle des correspondances des détenus, et portaient ainsi nécessairement préjudice à un intérêt social ».
Cette décision présente un intérêt majeur en ce qu’elle précise les contours du délit de faux appliqué aux correspondances pénitentiaires. Elle invite à examiner d’abord les conditions de caractérisation du faux par l’aptitude à produire un effet juridique (I), puis à analyser la portée de la notion de préjudice à un intérêt social dans ce contexte particulier (II).
I. La caractérisation du faux par l’aptitude à produire un effet juridique
L’arrêt apporte des précisions sur l’exigence d’un effet juridique potentiel pour qualifier le faux (A), tout en l’appliquant au cas particulier du contournement des règles pénitentiaires (B).
A. L’exigence classique d’un effet juridique potentiel
Le délit de faux, prévu à l’article 441-1 du code pénal, suppose une altération frauduleuse de la vérité dans un écrit susceptible d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. La jurisprudence exige traditionnellement que le document falsifié soit apte à produire un effet de droit.
La Cour de cassation rappelle cette condition en énonçant que les mentions fausses « étaient susceptibles de produire un effet juridique ». Elle ne requiert pas la production effective de cet effet, mais seulement son aptitude potentielle. Cette approche s’inscrit dans une conception extensive du faux, où la simple possibilité d’une conséquence juridique suffit à caractériser l’infraction.
Cette solution permet de réprimer le faux dès sa commission, sans attendre qu’il ait effectivement trompé son destinataire. Elle renforce l’efficacité de la répression en sanctionnant l’acte frauduleux indépendamment de son résultat concret.
B. L’application au contournement du contrôle pénitentiaire
En l’espèce, l’effet juridique identifié par la Cour réside dans le « contournement du contrôle des correspondances des détenus ». Les correspondances entre avocats et détenus bénéficient d’une protection particulière fondée sur le secret professionnel. L’article 40 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire interdit le contrôle du contenu de ces échanges.
En usurpant l’identité d’avocats, les auteurs cherchaient à faire bénéficier leurs correspondances de cette protection légale. Le faux ainsi commis était donc apte à modifier le régime juridique applicable aux courriers. La cour d’appel avait relevé que cette manœuvre visait à ce que les correspondances « soient protégées par le secret des correspondances entre les avocats et leurs clients et ainsi directement remis à leur destinataire ».
La Cour de cassation valide ce raisonnement. Elle reconnaît que l’usurpation d’une qualité professionnelle protégée constitue une altération de la vérité susceptible de produire des effets juridiques significatifs. Cette analyse témoigne d’une lecture téléologique du faux, attentive aux finalités poursuivies par l’auteur.
II. Le préjudice à un intérêt social comme fondement de la répression
L’arrêt consacre la notion de préjudice à un intérêt social (A) et en tire des conséquences quant à la protection des règles pénitentiaires et de la profession d’avocat (B).
A. La reconnaissance d’un préjudice d’ordre collectif
La Cour de cassation énonce que les faux commis « portaient nécessairement préjudice à un intérêt social ». Cette formulation mérite attention. Elle dispense de la démonstration d’un préjudice individuel et permet de fonder la répression sur l’atteinte à un intérêt collectif.
Cette approche n’est pas nouvelle. La jurisprudence admet depuis longtemps que le faux puisse léser des intérêts généraux, notamment lorsqu’il porte atteinte à la confiance publique dans certains documents ou institutions. L’originalité de l’arrêt tient à son application au domaine pénitentiaire.
Le préjudice social identifié réside dans l’atteinte au bon fonctionnement du système de contrôle des correspondances. Ce contrôle répond à des impératifs de sécurité et de discipline. Son contournement frauduleux compromet l’efficacité des mesures de surveillance et porte atteinte à l’ordre public pénitentiaire.
B. La protection conjointe de l’ordre pénitentiaire et de la profession d’avocat
L’arrêt permet également de protéger la profession d’avocat contre l’usurpation de son identité à des fins délictueuses. Le conseil de l’ordre avait relevé que « les faits avaient porté atteinte aux droits de la défense ». Cette observation, reprise par la cour d’appel, souligne que l’usurpation de l’identité d’avocats nuit à la profession tout entière.
La protection du secret des correspondances avocat-client repose sur la confiance accordée à cette profession. L’instrumentalisation frauduleuse de cette protection la décrédibilise et risque de conduire à son renforcement au détriment des droits de la défense. Le préjudice social dépasse donc le seul cadre pénitentiaire.
La cassation prononcée pour vice de procédure n’affecte pas la portée de cette analyse sur le fond. La Cour valide expressément le raisonnement de la cour d’appel en énonçant qu’elle « n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ». Cette décision constitue donc un précédent utile pour la répression des faux commis en milieu carcéral. Elle rappelle que le statut protecteur des correspondances d’avocats ne saurait être détourné sans encourir les sanctions pénales les plus sévères.